Firenze, Ponte alla Carria

Florence, vue sur le Ponte alla Carria (photo Ivanhoé / Wikipedia Commons)

Le nom de "Camerata fiorentina" désigne en fait plusieurs groupement d’artistes actifs à la fin du 16e siècle à Florence. C’est de leurs travaux qu’est né l’opéra.

La première Camerata Fiorentina a été créé à Florence dans les années 1570 (1573 exactement, selon certains). On l’a nommée également "Camerata Bardi", du nom de son mécène, Giovanni Bardi, Comte de Vernio, un riche banquier florentin, qui était également musicien, écrivain et scientifique. Philosophiquement lié au néo-platonisme florentin initié au cours du siècle précédent par Marcilio Ficino (Marcile Ficin), avec l’appui de Cosimo de’ Medici (Cosme de Médicis), ce cénacle d’artistes avait pour but de retrouver, sur la base de traités antiques, la musique de l’ancienne Grèce à laquelle ils attribuaient le pouvoir de transformer et d’élever l’être humain.

C’est au cours des années 1590, après le départ de Bardi pour Rome, que la seconde Camerata s’est constituée, cette fois autour du Chevalier Corsi et de son théâtre, leur travaux dépassant alors le seul cadre musical pour s’atteler à une forme de spectacle total, alliant musique et poésie. Rappelons que la musique (et peut-être même la danse) était présente dans les représentation antiques, "tragédie" venant de deux mots grecs, dont l’un signifie "chanter". 70 ans après le David de Michel-Ange, qui avait dépassé le modèle grec dans le domaine de la sculpture, des hommes du "cinquecento" tentèrent de retrouver le modèle de la tragédie grecque.

"Prima le parole, dopo la musica." D’abord les mots, ensuite la musique : pour les artistes de la Camerata, la musique devait être au service du texte, le suivre dans son rythme, mais aussi dans son sens, en appuyant sa charge émotive. Ils ont ainsi défini le stile rappresentativo, un style de musique qui, plutôt que la beauté intrinsèque, devait chercher à reproduire les émotions de l’âme humaine, et ont élaboré le recitar cantando, que l’on peut traduire en quelque sorte par déclamation chantée, sans airs au sens strict du terme, mais avec le soutien de thèmes récurrents et d’ornements, où la musique épouse le texte, et accompagné de ce qu’on appellera la "basse continue". Leurs idéaux rejoignaient, jusqu’à un certain point, ceux de la Contre-Réforme : une attention au texte, de manière à ce qu’il soit compréhensible pour l’auditeur, mais en fait, elle les dépassait, puisqu’elle attribuait à la musique un pouvoir que les artisans de la Contre-Réforme n’ont jamais exprimé/

On doit à la Camerata Bardi la création du premier opéra de l’histoire, la Dafne de Peri, représentée en 1597, mais c’est Monteverdi, alors au service du duc de Mantoue, qui avait suivi de près les travaux de la Camerata, qui, avec l’Orfeo, dont le succès a été extraordinaire, a fait de ce genre l’un des plus populaires, et l’est resté durant 4 siècles. Il fallait le génie d’un Monteverdi, son invention musicale, son intelligence (et peut-être aussi ses connaissances dans le domaine de l’alchimie) pour transformer des théories a priori austères en musique vivante.

Malheureusement, le "recitar cantando", qui était pourtant le couronnement des recherches de la Camerata, se perdra et se fondra dans le récitatif, le passage obligé pour faire évoluer l’action, débarrassé le plus souvent de tout affect. Il faut dire que, si Monteverdi excella dans le recitar cantando pour en faire une musique d’une invention et d’une subtilité extrême, il faudra attendre le Fastaff de Verdi et le Pelléas de Debussy pour entendre à nouveau une musique de cette qualité.

Parmi les membres les plus éminents des Camerate fiorentine, citons les poètes Torquato Tasso et Ottavio Rinuccini, les musiciens Emilio de Cavaliere, Jacopo Peri, Giulio Caccini, ainsi que plusieurs théoriciens, tels Vincenzo Galilei (père de l’astronome) et Girolamo Mei, qui traduisit du grec l’ensemble des documents antiques connus traitant de musique.

Parmi les oeuvres (qui n’ont pas été perdues) dues à des artistes des deux camerate, citons en particulier :

La Pellegrina par l'ensemble Las Huelgas

La belle réalisation de la Pellegrina par l’ensemble Las Huelgas.

La Pellegrina, pièce avec intermèdes musicaux qui allait être représentée à l’occasion des noces de Ferdinand 1e de Medicis et de Christine de Lorraine, en 1589, et qui fut confiée au poète Rinuccini, et à 5 musiciens, Cavalieri, Malvezzi, Marenzio, Caccini et Peri. Presque tous faisaient partie de la Camerata.

– les tout premiers opéras : si la Dafne de Peri sur un poème de Rinuccini, représentée au théâtre Corsi à Florence en 1597 a été perdue, on a retrouvé les partitions de l’Euridice du même auteur, représentée à Florence en 1600 pour les noces d’Henri IV et de Marie de Médicis, et une autre Euridice, celle de Caccini, sur le même livret et dont elle reprend nombre de passages musicaux (1600, représentée à Florence en 1602) .

– ce que l’on considère comme le premier oratorio, La Rappresentazione di anima e di corpo (la représentation de l’âme et du corps), musique de Cavalieri sur un livret d’Agostino Manni, représentée pour la première fois à Rome, à l’église Santa Maria della Vallicella, en février 1600.

– ce que l’on pourrait appeler le "manifeste" du "recitar cantando", Le Nuove Musiche, pour voix et basse continue, par Caccini, recueil publié en 1602.

La Camerata fiorentina ne fut le seul cercle intellectuel destiné à rassembler des « spécialistes » des arts et de la pensée afin de développer leurs domaines d’activité. Depuis le 15e siècle, les Accademie fleurissaient en Italie, sous l’impulsion du mouvement néo-platonicien. A Bologne fut fondée, notamment, par Adriano Banchieri, l’Accademia dei Fioridi, afin de développer le genre madrigal, l’un des styles de musique favoris des Italiens. Monteverdi appartenait à cette Accademia.

Discographie

La Pellegrina a été idéalement enregistrée par l’Ensemble Huelgas sous la direction de Paul van Nevel. Ce disque n’est plus disponible actuellement, mais on peut éventuellement trouver d’occasion sur Amazon, sous ce lien ou sous celui-ci.

L’Euridice de Peri a été enregistrée à plusieurs reprises, dont deux fois dans des conditions optimales par des équipes 100% italiennes : la première, par la superbe Gloria Banditelli sous la direction de Roberto de Caro, accessible sous ce lien ; la seconde, plus récente, avec Sylva Pozzer, sous la direction d’Anibal E. Cetrangolo.

En ce qui concerne la Rappresentatione di Anima e di Corpo, deux réalisations majeures sont à signaler : un DVD réalisé à Rome, peut-être pas dans les lieux mêmes de la création, mais sur les indications scéniques et musicales manuscrites du compositeur, avec les excellents Cecilia Gasdia et Furio Zanasi, accessible sous ce lien – et un coffret de 2 CD réunissant une superbe équipe de musiciens et de chanteurs sous la direction de Marco Longhini. La récente réalisation de Christine Pluhar, qui a été saluée par les critiques, reste très intéressante, mais manque quelque peu d’italianità.

Enfin, les réalisations plus récentes dans Le Nuove Musiche de Caccini, la voix émouvante et au timbre si particulier de Montserrat Figuerras accompagnée par son mari Jordi Savall.