Le sculpteur Phidias fut, avec Praxitèle, le sculpteur le plus cité et loué dans les textes antiques. Mais, parmi les innombrables antiques retrouvées, aucune ne peut lui être attribuée avec un doute raisonnable. On sait toutefois de lui qu’il a vécu dans l’Athènes du 5e siècle, la grande Athènes de Périclès, et qu’il participa à la construction du Pathénon. Ses oeuvres les plus fameuses sont deux statues chryséléphantines monumentales, aujourd’hui disparues : l’Athéna du Parthénon d’Athènes et le Zeus du temple d’Olympie, qui fit partie des 7 merveilles du monde.

Le groupe des trois déesses du Parthénon d'Athènes

Le groupe des trois déesses du Parthénon, l’une des rares oeuvres qui subsistent dont on peut supposer sculptées par Phidias en personne.

Phidias, le plus célèbre des sculpteurs de l’Antiquité grecque avec Praxitèle, appartient autant à la réalité qu’à la légende. A la réalité, parce que, bien que l’on connaisse peu de choses de sa vie, on sait qu’il est né autour de 490 et mort autour de 430 av. J.-C., qu’il fut un proche de Périclès, gouverneur d’Athènes, et qu’il supervisa, à la demande de celui-ci, les travaux de reconstruction de l’Acropole, détruite en 480 av. J.-C. par l’armée perse.

Mais Phidias est aussi un personnage de légende, dont les oeuvres, essentiellement religieuses, marquèrent ses contemporains. Légendaire, son Athéna Promachos de bronze qui dominait Athènes, légendaire, son Athéna Parthénos d’or et d’ivoire, et surtout son Zeus du temple d’Olympie, également d’or et d’ivoire, l’une des 7 Merveilles du Monde. Ces statues n’existent plus aujourd’hui, elles ont été pillées, détruites ou fondues. Mais, lorsqu’elles furent dévoilées, elles firent une très grande impression : l’érection et le dévoilement d’une statue de Phidias était un évènement qui donnait lieu à des commentaires nombreux, dont beaucoup sont arrivés jusqu’à nous.

On disait que Phidias était le seul à connaître l’image des dieux, et qu’il la révélait aux hommes par ses sculptures.

C’est Pausanias, l’écrivain-voyageur grec du IIe s. ap. J.-C., qui, dans son ouvrage La Description de la Grèce (une sort de guide touristique avant l’heure), nous offre la plus complète des revues de l’oeuvre sculpté de Phidias.

L’Athéna Lemnia : une aventure archéologique

Tête d'Athéna du musée de Dresde

La superbe tête d’Athéna, peut-être inspirée de Phidias, conservée au musée de Dresde

Vers 450 av. J.-C., des colons athéniens qui s’étaient installés dans l’île de Lemnos commandèrent une statue d’Athéna en bronze, en offrande à leur cité et à sa déesse tutélaire. Cette statue a été décrite par Pausanias dans le premier livre de sa Description, qui place l’Athéna Lemnienne parmi les offrandes de la citadelle d’Athènes.

En 1895, l’archéologue Adolf Furtwängler publia une étude dans laquelle il proposait quelques hypothèses. Il commença par rapprocher deux éléments qui se trouvent actuellement au musée de Dresde : une tête et un torse de style classique. Le torse, féminin et muni d’une égide, était sans doute possible un torse d’Athéna. La tête, qui avait été attribuée à une amazone, voire à un jeune homme, pouvait fort bien être une tête d’Athéna, bien qu’elle ne fût pas casquée (le port du casque est l’une des principales caractéristiques des réprésentations d’Athéna). En effet on a retrouvé des tessons de poterie grecque la représentant tête nue, tenant son casque dans la main droite. Mais les tessons ne présentent pas le reste de la scène : Athéna regarde-t-elle son casque "dans les yeux" ou le tend-elle à un autre personnage ? Quoi qu’il en soit, bien qu’il ait fallu combler un intervalle de plusieurs centimètres entre tête et torse, ceux-ci s’adaptaient parfaitement en terme de dimensions et de qualité de marbre.

Furtwängler a rapproché cette tête nue de Dresde, dont les cheveux courts sont simplement attachés par un lien qui fait le tour de la tête, de deux autres, l’une conservée au musée de Bologne et l’autre retrouvée dans les fouilles des Campi Flegrei dans le sud de l’Italie. Pour Furtwängler, il ne faisait pas de doutes que ces trois têtes provenaient de copies d’un même original. Or, pour Furtwängler, le style de la statue reconstituée de Dresde était celui de Phidias, il pouvait s’agir d’une copie d’une statue de Phidias, que Furtwängler a identifiée comme étant cette Athéna Lemnienne.

En se basant sur les tessons de poterie que nous avons mentionnés, les archéologues sont allés plus loin en proposant une "solution" : la déesse tient son casque dans la main droite et sa lance dans la gauche. D’où, la réalisation d’une reconstitution en bronze visible au musée de Dresde. Devant cette succession d’hypothèses dont chacune dépend de la précédente, nous ne pouvons qu’exprimer un "doute raisonnable". Où est le style de Phidias : dans la beauté inaccessible et austère de celle de Dresde, dans le caractère tout patricien de celle de Bologne, dans celui, presque enfantin, aux lèvres bien ourlées, de celle des Campi Flegrei, ou dans aucune d’entre elles ?

Les hypothèses sont, certes, séduisantes, mais elles ne nous donnent aucune certitude quant à la paternité de Phidias sur l’original dont l’Athéna de Dresde serait une copie, et encore moins quant à l’identification à l’Athéna Lemnienne citée par Pausanias.

L’Athéna Promachos

L’écrivain-voyageur grec Pausanias, dans sa précieuse Description de la Grèce cite une statue d’Athéna, réalisée par Phidias. C’était une colossale (elle devait mesurer eviron 9 à 10 m de hauteur) statue de bronze, dont les navigateurs doublant le cap Sounion pouvaient déjà distinguer la pointe de la lance et l’aigrette du casque. Cette Athéna, dite "Promachos" ("qui combat au premier rang"), était placée sur l’Acropole, entre les Propylées et l’Erechtéion. Il est possible qu’une statue du musée du Louvre, dite la Minerve Ingres, autrefois conservée à l’Ecole des Beaux-Arts, soit une copie de cette statue.

Le Parthénon et l’Acropole

Périclès, qui gouverna Athènes de 449 à sa mort en 429 av. J.-C., entreprit, grâce à des fonds venus de toutes la Grèce (ce sont les cités regroupées au sein de la Ligue de Délos qui payèrent Athènes pour assurer leur sécurité ; on a reproché à Périclès ce détournement), de reconstruire superbement l’Acropole après sa destruction par les Perses en 480. Il confia à Phidias la "direction artistique" de l’Acropole et lui commanda une statue monumentale chryséléphantine (c’est-à-dire d’or et d’ivoire) d’Athéna pour l’intérieur du principal temple de l’Acropole, le Parthénon.

Lorsqu’il visita les fondations et les premiers soubassements du Parthénon, Phidias fit remarquer que la statue qu’il projetait n’entrerait pas dans ce temple, dont le naos (la salle principale d’un temple antique, le « saint des saints » en quelque sorte) était trop petit. On reconstruisit donc le Parthénon, sur un plan plus ample.

Le Parthénon était abondamment sculpté : frontons, frises intérieures et extérieures, métopes… Ces sculptures sont pour l’essentiel rassemblées au British Museum, mais certaines se trouvent également au Louvre, à Naples et à Athènes. On peut penser que certaines de ces sculptures ont été faites par Phidias lui-même, notamment un groupe de trois déesses, une figure de Dyonisos et un groupe de cavaliers. Les différences de style, le fait que certaines pièces de marbres n’ont été apportées sur le site qu’après la mort du sculpteur confirment que Phidias n’a pas réalisé l’ensemble des scultpures du Parthénon.

L’Athéna Parthénos

Une miniature de l'Athena du Parthénon ?

L’Athéna Varvakeia, peut-être une copie de l’Athéna du Parthénon.

«La statue d’Athéna est faite d’ivoire et d’or. Au milieu de son casque est la figure d’un sphinx, et de chaque côté des griffons. La statue est debout, vêtue d’une tunique talaire, et sur la poitrine elle porte la tête de la Méduse en ivoire. La Victoire a environ 4 coudées de-haut. D’une de ses mains, la déesse tient la lance; à ses pieds est son bouclier, et près de la lance un serpent que l’on dit représenter Erichtonios; sur le piédestal de la statue est figurée la naissance de Pandore.»

Ainsi Pausanias décrit-il la légendaire statue d’Athéna qui était placée dans le naos du Parthénon. Majestueuse, impressionnante par sa taille (environ 12 m de haut), par l’or et l’ivoire, le constraste entre le brillant de l’or et le blanc crème, presque transparent de l’ivoire, qui donnait à la chair de la déesse la pureté lumineuse digne d’une déesse vierge, la statue chryséléphantine d’Athéna a frappé l’esprit de plusieurs générations dans le monde grec.

En 1881, lors de fouilles à Athènes, on a retrouvé une statue, pluôt malhabile, d’Athéna, correspondant si bien à la description de Pausanias que l’on suppose qu’il s’agit d’une copie de l’Athéna Parthénos. Le musée de Berlin abrite une autre copie supposée de cette oeuvre.

Le Zeus du temple d’Olympie

Une image de la légendaire statue de Zeus à Olympie

Une reproduction de la statue de Zeus par Phidias, une des rares représentations de ce chef-d’oeuvre perdu, sur une monnaie d’Elide.

Phidias aurait été accusé par ses ennemis, en 432, d’avoir détourné à son profit une partie de l’or destiné à l’Athéna Parthénos. N’ayant pu prouver leurs accusations, ils declarèrent alors que Phidias avait représenté l’image de Périclès et la sienne propre sur le bouclier d’Athéna, ce qui était un acte d’impiété méritant l’enfermement. Selon Plutarque, Phidias serait mort peu après en prison. Selon d’autres, il serait enfui pour l’Elide, à Olympie, où il réalisa une statue de Zeus d’or et d’ivoire, plus grande et plus riche que la statue d’Athéna faite dans les même matériaux. On a retrouvé, à Olympie, les restes d’un atelier de sculpture qui serait très vraisemblablment celui de Phidias. Un modèle d’argile, présentant des draperies, pourrait avoir été le modèle du Zeus Olympien. Après l’érection de la statue, les Eléens auraient mis à mort Phidias (pour l’empêcher de construire une statue encore plus grande et riche pour un autre temple ?).

De cette statue de Zeus Olypien, qui fait partie des Sept Merveilles du Monde, il ne reste rien. Elle aurait été transportée d’Olympie à Constatinople (elle aurait ainsi échappé à la destruction du temple en 426 après J.-C.) et aurait été finalement détruite par les flammes 50 ans plus tard – soit plus de 8 siècles après son érection et après, vraisemblablement, de nombreuses restaurations. Nous n’en avons que des descriptions, ainsi que son image, très stylisée, sur des pièces de monnaies frappées en Elide.

L’historien Pausanias décrit ainsi la statue :

"Le dieu est ainsi sur un tône, et il est d’or et d’ivoire. Sur sa tête, une couronne de rameaux d’olivier. Dans sa main droite, une niké (représentation de la Victoire, une femme armée et casquée) faite d’or et d’ivoire. Dans sa main gauche, un sceptre incrusté de toutes sortes de métaux précieux, avec un aigle perché sur le sceptre. Ses sandales étaient faites d’or, comme son manteau. Sur sa robe sont brodés des animaux et des fleurs de lys. Le trône est paré d’or et de pierres précieuses, sans parler de l’ébène et de l’ivoire. Sur le trône sont peintes des figures et des images ouvragées. Il y a quatre victoires, représentées comme des femmes dansantes, l’une à chaque pied du trône, et deux autres à la base de chaque pied…

Le style de Phidias et le classicisme

Une koré, 50 ans avant Phidias

Une koré de l’Acropole d’avant la destruction de 480. Un demi-siècle avant Phidias.

Ce qui frappe d’emblée lorsqu’on compare des oeuvres de Phidias ou de son atelier (sculptures du Parthénon) ou des copies supposées aux oeuvres antérieures, c’est une impression de grande liberté, de mouvement, de "réalité idéelle". Phidias a si bien maîtrisé, semble-t-il, l’anatomie humaine qu’il a pu remettre en question les canons de la scultpure de son époque pour arriver à une représentation "vivante" : ses sculptures ne paraissent pas immobiles, mais prêtes à se mettre en mouvement. D’ailleurs, la célèbre critique qui reprochait à Phidias d’avoir représenté un Zeus dont la tête crèverait le plafond du temple s’il se levait, suggère cette impression de mouvement et de vie. Il a également fait culminer l’art de la représentation des drapés, traité de manière à amplifier encore cette impression de mouvement. Depuis Phidias, le drapé est devenu un élément essentiel de la représentation, qu’elle soit sculptée ou peinte.

Par rapport aux artistes ultérieurs, même si on peut accorder à ses successeurs une maîtrise encore plus grande du naturel dans les postures, Phidias se distingue par la "moralité" de son expression, comme l’ont soulignés les commentateurs de l’Antiquité. Il ne représentait pas des hommes, mais des divinités, et tout dans les représentations de Phidias suggère cette divinité. Phidias a réalisé un équilibre parfait entre grâce et majesté. Athéna est belle, mais sa beauté même, sans concession, la rend inaccessible.

Par ailleurs, on peut déduire avec une grande certitude que, comme Léonard de Vinci bien plus tard, Phidias avait le regard acéré, et utilisait ses propres observations pour améliorer le rendu de ses oeuvres. On dit que lorsqu’il participa à un concours pour réaliser une statue d’Athéna et présenta, avec le sculpteur Alcamène, un modèle, une maquette de ce qu’il avait en tête, les juges ne comprirent pas d’abord pourquoi cette Athéna était toute déformée. Puis, il demanda à ce que les modèles soient placés sur des colonnes, comme la statue le serait dans la réalité. Alors, toutes ces déformations prirent leur sens et, contrairement à celle d’Alcamène qui parut alors malformée, l’Athéna de Phidias paraissait splendide et majestueuse.

"Episkopos" (= "celui qui regarde d’en haut", en quelque sorte "architecte" ou, plutôt, "directeur artistique") de la reconstruction de l’Acropole, il fut certainement celui qui en introduisit des corrections aux dimensions de la façade et des colonnes du Parthénon. Plus étroit en hauteur qu’à la base pour simuler une perspective, le Parthénon paraît plus haut, plus majestueux. En outre, les colonnes sont renflées à peu près au tiers de leur hauteur et ne donnent pas cette impression de convexité qu’ont les colonnes droites.

Bien que nous ayons si peu de certitudes quant à l’art de Phidias, nous souhaitons célebrer ici cet homme qui a contribué à créer ce que l’on nomme le "classicisme" : la recherche, dans l’art, de l’éternel plutôt que du transitoire. Cette élévation spirituelle, cette exigence artistique ont définitivement permis de dégager l’art, dans son sens le plus libérateur, à la fois de l’imitation brute de la réalité et de l’usage des conventions de représentation.