Bach a composé cette oeuvre pour le clavecin à deux claviers. On ne peut cependant pas faire l’impasse sur quelques magnifiques versions au piano, instrument peut-être pas "idiomatique", mais dont la sonorité riche et les possibilités conviennent bien aux Variations Goldberg, et surtout, on ne peut faire l’impasse sur certains des très grands pianistes qui ont marqué l’interprétation de cette oeuvre.

On regrette de ne pas trouver de version sur pianoforte, instrument que Bach a pourtant connu. D’une sonorité plus légère que le piano, plus douce que le clavecin, malgré un manque de charme à première écoute mais très agréable dans la durée, il nous semble qu’il s’agirait d’un instrument idéal pour mettre en valeur l’écriture claire des Variations Goldberg.

Au clavecin

Après de nombreuses écoutes comparatives, nous n’arrivons pas à départager les deux magnifiques versions de Pierre Hantaï, le favori des critiques. La seconde, chez Mirare, est certes plus aboutie, mais certains effets manquent de naturel, et le son du clavecin n’est pas d’une aussi belle eau que celui de la première version, chez Opus 111.

À côté d’Hantaï, nous devons citer quelques enregistrements dont la qualité artistique n’est absolument pas en reste :

Andreas Staier, qui a pris son temps pour enregistrer les Goldberg, et qui nous livre une vraie version de la maturité, rare dans l’afflux des versions de jeunes prodiges, mais nous aurions aimé l’entendre au pianoforte,

Blandine Verlet, qui avait signé une version que les années ne peuvent pas faire oublier, et qui est la favorite de Kulturica dans la catégorie « clavecin ».

Malgré des imperfections évidentes, la première version de Scott Ross (version de concert, 1985, chez Erato), par son climat incomparable, est l’unique version de la « première génération des baroqueux » que nous pouvons conseiller dans ces pages.

Au piano

La discographie des Goldberg au piano est pléthorique : rares sont les pianistes qui n’ont pas tenté de donner leur vision de cette œuvre.

Entre le Bach joué à la " machine à coudre " dont parlait Colette, un Bach aussi austère qu’un temple protestant, le Bach plus joyeux, bon vivant, le Bach poète qui émerge des doigts d’un Willhelm Kempff, des pièces au nom de "gigue", "menuet" ou "gavotte", qui seraient jouées comme des danses, rythmées et enjouées, ou bien plus sensuelles, des théories contradictoires sur les ornements, les tempi… les possibilités sont infinies.

Le "cas" Glenn Gould est très particulier. Avant 1955, les Variations Goldberg faisaient partie du répertoire de nombreux pianistes, mais elles étaient très peu connues du public : personne n’osait les jouer en concert, car elles étaient jugées trop austères. Ce fut Glenn Gould qui, en 1955, à l’occasion d’un film pour la télévision, fit connaître cette oeuvre au grand public.

Il fit scandale : ce jeune homme fantasque, loin des maîtres compassés en noeud papillon et queue de pie, s’amusait ! La légende était lancée : point de Goldberg hors Gould.

Il a fait, et réussi, la révolution, l’oeuvre entra dans le répertoire des concerts, et devint presque "populaire". Mais de ses interprétations, tant celle de 1955 que celle, dite "plus aboutie" de 1981, ou les enregistrements de concert, aucune ne peut être raisonnablement conseillée pour découvrir l’oeuvre. Gould joue Gould plus que Bach. Mais le film mérite au moins une visite sur le site Youtube.

Depuis plus de 40 ans, la version limpide, aérienne, de Wilhelm Kempff, fait scandale auprès des glatt-baroqueux parce qu’il ne joue pas les ornements. Une question se pose : la poésie qui se dégage de cette interprétation, unique ou presque dans la discographie, est-elle dans la partition (dans ce cas, faut-il la gommer ?) ou est-ce Kempff qui l’invente ?

Comme celle de Blandine Verlet au clavecin, la version de la pianiste chinoise Zhu Xiao-Mei, au piano, ne peut s’oublier. Victime de la révolution culturelle, cette pianiste a pu, dans sa prison mongole, trouver un clavier sur lequel elle put jouer, des années durant, sans partition, les Variations Goldberg. Elle furent, au sens le plus poignant, la nourriture de son âme, et cela s’entend. Zhu Xiao-Mei nous offre une vision méditative de ces Variations.

Les Goldberg de Murray Perahia, universellement saluées, bénéficient du jeu magnifique de ce grand pianiste. Peut-être la sonorité est-elle trop belle et sent un peu le produit de studio. Et c’est fort dommage, car le jeu sobre et concentré de Perahia nous semble réellement détenir une bonne part de la vérité de Bach. C’est certainement un excellent premier choix, mais ce n’est pas le seul (voir plus bas).

Un autre premier choix évident : la version de Koroliov, le pianiste choisi par Haenssler pour sa grande intégrale du 250e anniversaire de la mort de Bach, reste d’actualité. Plus que toute autre version, elle répond parfaitement à la définition de Ergeizung donnée dans notre page principale sur les Variations Goldberg : l’écoute de cette version est apaisante, mais aussi énergisante. Cet enregistrement a été réédité par un label de passionnés du piano, Piano Classics.

Mise en ligne pour la première fois il y a 7 ans, notre sélection discographique, malgré un afflux de nouvelles versions, n’a pas radicalement changé. Et ce que l’on peut lire sur le net, non de la part des critiques professionnels, mais de la part des « amateurs éclairés », nous confortent dans nos choix.

La modification la plus radicale concerne la version de Maria Yudina, qui ne figure plus dans notre sélection, ce qui peut choquer, compte tenu de la grande valeur artistique de cet enregistrement, mais, dans une optique très proche, nous estimons la version de Koroliov préférable. Ce fut également une rude décision que d’exclure la belle version de Dershavina, qui, que ce soit du fait de la pianiste ou de la prise de son, nous paraît récéler un peu de sécheresse.