La Toison d’Or, ce Graal de l’antiquité grecque, est l’objet de la quête de Jason et des Argonautes, l’aventure mythologique la plus palpitante avec celle d’Ulysse. Mais d’où vient-elle et quelle est sa nature ?

Le Dragon régurgitant Jason, sous le regard d'Athéna

Le Dragon régurgitant Jason, sous le regard d’Athéna. En arrière-plan, suspendue à un arbuste, la Toison d’Or.

« C’est là qu’enfin vous découvrirez le palais d’Æétès et la forêt consacrée à Arès, dans laquelle la Toison d’Or est suspendue au haut d’un chêne. Un monstre horrible, un dragon furieux, veille sans cesse à sa garde; et jamais ses yeux ardents ne sont fermés par le doux sommeil. »

Ainsi le roi Phinée s’adressa-t-il à Jason qui l’avait débarrassé des horribles Harpyes, Jason qui, pour reconquérir son royaume, partira avec 50 compagnons à la recherche de cette Toison d’Or.

L’objet de la Quête antique

A l’époque médiévale, la Quête du Graal était le sujet favori des poètes et de leurs auditeurs. Dans l’Antiquité, c’est la Quête de la Toison d’Or qui fit voyager les esprits, au rythme des aventures de Jason et de ses compagnons les Argonautes. Mais qu’était donc cette fameuse Toison ?

L’origine du bélier d’or

On trouve cette histoire dans les Fables d’Hygin. En voici la substance :

Théophané, dont le nom signifie « semblable à la divinité, qui a une apparence divine », était une princesse thrace d’une très grande beauté. Elle eut de nombreux prétendants, et même le dieu marin Poséidon en tomba amoureux. Il décida de l’enlever.

Ayant transformé sa bien-aimée en brebis, afin de la dissimuler aux regards de ses prétendants, il l’emmena dans l’île de Crumissa, dont il transforma les habitants en moutons. Mais Théophané restait, elle, la plus belle des brebis.

Ayant poursuivi la princesse jusqu’à l’île de Crumissa, les prétendants n’y trouvèrent donc que des moutons, qu’ils se mirent à manger, sans se douter qu’ils étaient observés par Poséidon. Le dieu les transforma en loups.

Sous la forme d’un grand bélier, Poséidon, finalement, s’unit à Théophané qui, à son terme, mit au monde un bélier d’or.

Note géographique : la Thrace (nommée encore Brébycie) était la région située au nord-est de la Grèce antique, et c’est aujourd’hui la partie européenne de la Turquie. Quant à l’île de Crumissa, on ignore où elle se trouve.

Phrixos et Hellé

Athamas, roi d’Orchomène, avait épousé Néphélé, dont le nom signifie « Nuée ». Certains disent qu’il s’agissait de la nuée créée par Zeus à l’image d’Héra pour tromper l’ingrat Ixion, condamné au Tartare.

Athamas eut de Néphélé deux enfants, Phrixos et Hellé. Puis il s’éprit d’Ino et répudia Néphélé. Mais celle-ci, dans son malheur, ne fut pas oubliée par Héra et par Zeus.

Ino, qui avait donné à Athamas deux autres enfants, se prit de haine pour ceux de Néphélé et projeta de les perdre. Elle conçut un plan proprement machiavélique, qui n’épargna aucun habitant du pays d’Orchomène.

Ino commença par convaincre les femmes d’Orchomène de griller le blé qui devait servir aux semences et, lorsqu’on le planta, rien ne poussa. On ne récolta pas de blé cette année-là, et la famine s’installa sur le royaume. Athamas envoya donc à Delphes des émissaires pour demander un oracle. Mais Ino avait soudoyé les envoyés d’Athamas, et, lorsqu’ils rentrèrent à Orchomène, ils dirent au roi que la ramine s’arrêterait si l’on sacrifiait son premier fils, Phrixos, à Zeus.

Tout était prêt pour le sacrifice, et le couteau était déjà sur la tête de Phrixos, quand surgit le bélier d’or, fils de Poséidon, envoyé par Zeus. Le bélier enleva Phrixos, et Hellé, sa soeur, grimpa aussi sur le dos de l’animal. "Ne me laisse pas seule ici, disait-elle, à la merci de notre méchante belle-mère !" Le bélier, qui avait de grandes ailes, prit son envol et emmena les deux enfants. Néphélé, qui se tenait non loin de là, eut tout juste le temps de dire à son fils qu’il lui faudrait sacrifier le bélier en l’honneur de Zeus quant il arriverait au terme de son voyage. Ce "terme du voyage" se trouvait en Colchide, pays où régnait un roi-magicien : c’était le pays qui fasait face à la Thrace, de l’autre côté (la rive asiatique) du Pont-Euxin qui relie la mer Noire à la Mediterranée.

Hellé, prise de vertige, tomba dans la mer. On donna à cette mer le nom d’Hellespont (appelée plus tard le Pont-Euxin, et maintenant mer de Marmara), en son souvenir.

Quant à Phrixos, le bélier le déposa sans dommage en Colchide, où le roi Æétès l’accueillit et lui donna sa fille Chalciopé en mariage, sans demander de dot. Phrixos, qui n’était pas un ingrat, sacrifia le bélier en l’honneur de Zeus, comme sa mère le lui avait demandé, et donna la toison de l’animal fabuleux à Æétès.

Phrixos, qui passa toute sa vie en Colchide, eut quatre fils de son union avec Chalciopé, quatre fils qui se joignirent à l’expédition de Jason et retournèrent en Orchomène pour récupérer leur héritage.

Mais tout ceci est une autre histoire…

Note géographique : La Colchide était, encore dans l’antiquité, une région située sur la côte orientale de la Mer Noire (il est donc logique que, venant de Thrace, le bélier d’or passât par l’Hellespont pour rejoindre la Colchide). Cette région, bordée au nord par la chaîne du Causase et baignée par le Phase (aujourd’hui Rion), se nomme aujourd’hui Géorgie. Une petite région de Géorgie, située juste au pied du Caucase, s’appelle encore aujourd’hui "Kolchida".

Strabon

Le géographe greco-romain (grec, parce qu’il est né dans une province grecque d’Asie Mineure, romain, parce qu’à son époque, la Grèce était occupée par Rome) Strabon, qui vécut aux 1er siècle av. / 1er siècle ap. J.-C, nous légua une très importante somme géographique du monde connu, certes parfois périmée, mais très complète. Il nous parle de Colchide et des régions avoisinantes dans le livre XI de sa géographie. Il y évoque des fleuves drainant des paillettes d’or que des peuples "barbares" recueillaient au moyen de toisons à longue laine. Ces toisons étaient plongées dans la rivière, attachées à la rive par des cordes, les paillettes d’or étaient retenues par les fibres de laine. Au bout d’un temps suffisant, les toisons étaient remontées, séchées et enfin brûlées, et l’or recueilli.

La Toison d’or était-elle un objet magique, ou bien signifiait-elle la richesse d’une région aurifère ? Que partit chercher Jason, la magie ou la richesse ?

Et cette hypothèse n’éclairerait-elle pas d’une autre lumière l’histoire de Phrixos ? Suite à une famine, le fils ainé du roi est envoyé dans un pays réputé riche pour y chercher fortune afin d’acheter de quoi nourrir son peuple… Une histoire éternelle !

Mais il ne faut pas négliger la portée symbolique du mythe : le joyau gardé par un dragon, que le héros doit terrasser avant de s’emparer du trésor est une histoire au moins aussi éternelle que la précédente.