D’une évidente beauté, les concertos pour violon Quatre-Saisons de Vivaldi ont été rendues suspects aux amateurs par leur succès même. Pourtant, il suffit de prêter l’oreille et la magie opère. Et ces dernières années nous en ont apporté des enregistrements nourris d’italianità d’artistes rompus au style baroque, de quoi faire notre bonheur.

Vivaldi, un contemporain de Bach

Vivaldi le Vénitien

Vivaldi le Vénitien – Illustration de Mikka pour Kulturica.

Vivaldi fut un compositeur prolifique : opéras et cantates profanes, œuvres vocales et chorales sacrées, musique orchestrale, en tout un corpus que l’on pourrait à peu près comparer à celui de Bach pour la quantité. Quant à la qualité, on se souvient de la remarque mordante de Stravinski, parlant de concertos pour violon : "400 fois le même concerto"…

Comme pour de nombreux compositeurs de la période baroque, notre connaissance de leur musique est finalement récente : bien que leurs oeuvres aient été jouées et enregistrées, ce n’est que grâce aux "baroqueux" que l’on a pu se faire une idée précise de leurs intentions. Composées pour des instruments anciens, avec une manière de jouer ancienne, un diapason, parfois même une gamme non tempérée, différents de ceux de notre époque, leur musique était

Mais la comparaison ne s’arrête pas là : le "cantor" allemand admirait le "maestro" italien au point de transcrire pour le clavecin et pour l’orgue un certain nombre de concertos de Vivaldi.

Les deux hommes étaient contemporains : Vivaldi (1678-1741) était plus âgé que Bach (1685-1750) de 7 ans seulement. Ils appartiennent tous deux à la fin de la période que l’on nomme "baroque", et la beauté ineffable de leurs compositions, leur équilibre annoncent déjà la période classique.

La mystérieuse évidence de la beauté des Quatre Saisons

Depuis Stravinsky et sa formule lapidaire, concernant l’œuvre de Vivaldi, "quatre cents fois le même concerto", il est de bon ton de regarder de haut le compositeur italien. Et il est vrai que cette musique a été tellement jouée, écoutée et utilisée qu’il aussi facile de parler d’elle que de Carmen ou du Canon de Pachelbel.

Mais il faut dire aussi que, rarement, on a dans l’oreille une musique plus plaisante, plus vive et harmonieuse, et si évocatrice de ce rythme des saisons.

Et c’est peut-être cela le secret : une musique d’une beauté tellement évidente, à la portée de tous, une musique qui rend simplement heureux, à condition qu’on l’écoute sans arrière pensée. Et là se révèle toute sa magie…

Les Quatre Saisons : une symbolique ésotérique

Le thème lui-même des Quatre Saisons est la fois simple, populaire puisqu’il concerne notre Terre et et tous ses habitants, mais en même temps, il relève d’une symbolique riche et complexe, puisqu’elle vient se rattacher à celle du nombre 4, aux chimères, aux visions bibliques, aux éléments, aux évangélistes et au Tarot.

La signification de ce symbole est simple : elle concerne les 4 phases de tout cycle. Et le cycle des saisons en est un exemple plein de sens.

Le printemps est l’éveil, le commencement, l’enfance, le lever du soleil, le démarrage d’une activité, sur des bases vierges, optimistes, dynamiques, volontaristes. C’est le bâton du Tarot, et la fougue de Mercure.

L’été représente la jeunesse, le soleil qui arrive à son zénith : les forces sont rassemblées, préparées, et c’est le moment d’agir. C’est aussi une plénitude dans la connexion avec la réalité. C’est à la foi la coupe généreuse du Tarot et la combativité de Mars.

L’automne, c’est le temps des moissons, mais aussi celui des regrets. Le soleil commence à se pencher sur l’horizon. Le temps de récolter les fruits et d’en jouir, le temps de regretter la beauté passée. C’est l’époque de l’opulence. C’est le denier du Tarot, c’est la puissance de Zeus.

Enfin, l’hiver est le repos qui suit la période d’activité, cela peut être la mort, mais la mort est-elle réellement une fin ? C’est la vieillesse de Cronos, la terre qui se prépare pour un nouveau printemps…

Quatre concertos pour violon au sein de l’opus 8…

Les Quatre Saisons sont un ensemble de 4 concertos pour violon, eux-mêmes extraits du recueil "Il Cimento dell"Armonia e dell’Invenzione", opus 8, de 12 concertos pour violon.

Vivaldi n’a pas à proprement parler "inventé" le concerto, genre qui existait déjà, mais qui signifiait à l’époque à peu près ce que le mot "concert" signifie pour nous : un orchestre, de trois instruments à beaucoup plus, jouant ensemble, sans intervention vocale, 3 ou 4 mouvements, à l’opposé par exemple des "suites" (sous entendu, suites de danses) qui comportaient un nombre de mouvements plus important.

C’est l’opus 3, "L’Estro Armonico", composé lui aussi de 12 concertos pour violons et édité en 1711, qui marque l’avènement du genre "concerto" tel qu’on le connaît aujourd’hui.

Dans cette forme, Vivaldi a insufflé un esprit de dialogue entre un soliste (le violon, , dont Vivaldi connaissanit toute l’expressivité) ou un petit groupes d’instruments avec le reste de l’orchestre. Il a ainsi formé un pont entre le concept ancien du concerto avec ce que nous en connaissons aujourd’hui, de Mozart, Beethoven à Rachmaninov : un instrument virtuose dialoguant avec un orchestre symphonique. Mais c’est surtout, par rapport à ses contemporains, par la dynamique, les contrastes, le "clair-obscur" que Vivaldi s’est définitivement détaché de ses contemporains.

Vivaldi, le "prêtre roux", a eu la chance de pouvoir composer ses œuvres pour un excellent orchestre, celui de l’Ospedale de la Pietà, exclusivement féminin, où étaient représentés presque tous les instruments existant à l’époque, tenus par des virtuoses, ce qui lui permit de tester et de peaufiner ses découvertes musicales, en particulier dans le domaine du mélange des timbres.

Quatre sonnets pour quatre saisons

Rares sont les éditions de disques qui donnent ces quatre sonnets, peut-être écrits par Vivaldi lui-même, et qui sont comme le "programme" de chacun de ces concertos. Les voici :

La Primavera.

Giunt’è la Primavera e festosetti
La salutan gl’Augei con lieto canto,
E i fonti allo spirar de’Zeffiretti
Con dolce mormorio scorrono intanto:

Vengon’ coprendo l’aer di nero amanto
E lampi, e tuoni ad annuntiarla eletti
Indi tacendo questi, gl’Augelletti
Tornan di nuovo al loro canoro incanto:

E quindi sul fiorito ameno prato
Al caro mormorio di fronde e piante
Dorme ‘l Caprar col fido can’ a lato.

Di pastoral Zampogna al suon festante
Danzan Ninfe e Pastor nel tetto amato
Di primavera all’apparir brillante.

L’Estate.

Sotto dura Stagion dal Sole accesa
Langue l’huom, langue ‘l gregge, ed arde il Pino;
Scioglie il Cucco la Voce, e tosto intesa
Canta la Tortorella e ‘l Gardelino.

Zeffiro dolce Spira, mà contesa
Muove Borea improviso al Suo vicino;
e piange il Pastorel, perché sospesa
Teme fiera borasca, e ‘l suo destino:

toglie alle membra lasse il Suo riposo
il timore de’ Lampi, e tuoni fieri
e de mosche, e mosconi il Stuol furioso!

Ah che purtroppo i Suoi timor Son veri
tuona e fulmina il Ciel e grandinoso
tronca il capo alle Spiche e a’ grani alteri.

Le Printemps.

Voici le Printemps, que les oiseaux saluent d’un chant joyeux. Et les fontaines, au souffle des zéphyrs, jaillissent en un doux murmure.

Ils viennent, couvrant l’air d’un manteau noir, le tonnerre et l’éclairs, messagers de l’orage. Enfin, le calme revenu, les oisillons reprennent leur chant mélodieux.

Et sur le pré fleuri et tendre, au doux murmure du feuillage et des herbes, dort le chevrier, son chien fidèle à ses pieds.

Au son festif de la musette dansent les nymphes et les bergers, sous le brillant firmament du printemps.

L’Été.

Sous la dure saison écrasée de soleil se languit l’homme, se languit le troupeau et s’embrase le pin. Le coucou se fait entendre, et bientôt, d’une seule voix, chantent la Tourterelle et le Chardonneret.

Zéphyr souffle doucement, mais, tout à coup, Borée s’agite et cherche querelle à son voisin. Le pâtre s’afflige, car il craint l’orage furieux, et son destin.

A ses membres las, le repos est refusé par la crainte des éclairs et du fier tonnerre, et par l’essaim furieux des mouches et des taons.

Ah, ses craintes n’étaient que trop vraies, le ciel tonne et fulmine et la grêle coupe les têtes des épis et des tiges.

L’Autunno.

Celebra il Vilanel con balli e Canti
del felice raccolto il bel piacere
e del liquor di Bacco accesi tanti
finiscono col Sonno il lor godere.

Fà ch’ogn’uno tralasci e balli e canti
l’aria che temperata dà piacere,
è la stagion ch’invita tanti e tanti
d’un dolcissimo sonno al bel godere.

I cacciator alla nov’alba à caccia
con corni, Schioppi, e cani escono fuore,
Fugge la belva, e seguono la traccia;

già Sbigottita, e lassa al gran rumore
de’ schioppi e cani, ferita minaccia
languida di fuggir, mà oppressa muore.

L’Inverno.

Aggiacciato tremar tra nevi algenti
al Severo Spirar d’orrido Vento,
correr battendo i piedi ogni momento;
e per sovèrchio gel battere i denti;

Passar al foco i di’ quieti e contenti
Mentre la pioggia fuor bagna ben cento
Caminar sopra ‘l giaccio, e à passo lento
per timor di cader girsene intenti.

Già forte, sdruzzolar, cader à terra
Di nuovo ir sopra‘l giaccio e correr forte
Sin ch’il giaccio si rompe, e si disserra;

sentir uscir dalle ferrate porte
Sirocco, Borea e tutti i Venti in guerra.
Quest’è l’verno, mà tal, che gioja apporte.

L’Automne.

Par des chants et par des danses, le paysan célèbre l’heureuse récolte et la liqueur de Bacchus conclut la joie par le sommeil.

Chacun délaisse chants et danses : l’air est léger à plaisir, et la saison invite à la douceur du sommeil.

Les chasseurs partent pour la chasse aux premières lueurs de l’aube, avec les cors, les fusils et les chiens. La bête fuit, et ils la suivent à la trace.

Déjà emplie de frayeur, fatiguée par les fracas des armes et des chiens, elle tente de fuir, exténuée, mais meurt sous les coups.

L’Hiver.

Trembler violemment dans la neige étincelante, au souffle rude d’un vent terrible, courir, taper des pieds à tout moment et, dans l’excessive froidure, claquer des dents ;

Passer auprès du feu des jours calmes et contents, alors que la pluie, dehors, verse à torrents ; marcher sur la glace, à pas lents, de peur de tomber, contourner,

Marcher bravement, tomber à terre, se relever sur la glace et courir vite avant que le glace se rompe et se disloque.

Sentir passer, à travers le porte ferrée, Sirocco et Borée, et tous les Vents en guerre. Ainsi est l’hiver, mais, tel qu’il est, il apporte ses joies.

A votre disposition, les sonnets et leur traduction dans une version imprimable en PDF, format 12 x 12 pour l’insérer dans le boîtier de votre disque.

Télécharger les sonnets et leur traduction.

Lien vers notre discographie des Quatre Saisons.