Beethoven a consacré les dernières années de sa vie à ce genre difficile qu’est le quatuor à cordes. Il en est sorti un monument absolu de la musique classique occidentale, des oeuvres pour l’éternité.

Ludwig van Beethoven

Beethoven vers 1818-1820

Longtemps resté, aux yeux du monde, le maître incontesté de la symphonie (cette place lui est actuellement disputée par Mahler, mais qu’en sera-t-il demain ?), maître du piano, qu’il savait faire résonner comme personne, Beethoven a également marqué de manière forte l’art de la musique de chambre et celui, très particulier, du quatuor à cordes.

D’abord plus facile, ses sonates pour violon et piano ou pour violoncelle et piano sont bien plus connues : des artistes majeurs en ont enregistré des versions marquantes dès les années 50 et 60, comme Clara Haskill et Arthur Grumiaux pour les premières et Pierre Fournier et Wilhelm Kempff pour les secondes.

Beethoven composa ses 6 premiers quatuors opus 18 entre 1798 et 1800. Il n’avait pas encore 30 ans (Beethoven est né en 1770) et ces oeuvres de jeunesse sont encore très influencées par Haydn, le "fondateur" du genre. Les 5 suivants (les trois quatuors opus 159 "Rasoumovsky", datant de 1805-1806, le n°10 opus 74, "Harpe", de 1807, le n°11 opus 95, "Quartetto Serioso", de 1810) montrent l’évolution à laquelle on pouvait s’attendre de la part de ce compositeur de génie, alors dans sa "belle maturité", compositeur reconnu par ses contemporain, presque adulé, et en possession de tous ses moyens musicaux. Mais on ne retrouve pas dans ces oeuvres la même qualité d’invention, la même passion, qui fait le prix des oeuvres qui leur sont contemporaines, les concertos pour piano notamment, à l’exception notable de l’opus 159, les trois quatuors "Rasoumovsky", d’une dimension réellement symphoniste dans leur structure et la vision de l’"espace musical".

1815 marque un retournement dans la vie du compositeur. C’est le début de ses problèmes financiers. Il gagnait bien sa vie grâce à sa musique, mais, comme Mozart et Schubert, il était un panier percé. Il vendait sa musique et il avait aussi l’appui de quelques mécènes, et les dernières années avant 1815 les ont vu se disperser : décès, maladie…

1815 est aussi l’année où sa surdité devient totale. Grâce à un appareil acoustique, il pouvait communiquer avec ses semblables. Mais, avec cette surdité totale, il est plongé subitement dans un monde de silence : c’est par l’écriture, sur des carnets, qu’il doit communiquer. 1815, c’est aussi la mort de son frère qui laisse un fils adolescent. Beethoven adopte ce neveu au comportement difficile, instable, suicidaire. Les problèmes de santé s’aggravent, et c’est à Baden, ville d’eau proche de Vienne, qu’il passera le plus clair de son temps à partir de 1823.

C’est entre 1815 et 1822, pourtant, que Beethoven composera les oeuvres qui lui valurent la plus grande notoriété, en particulier sa 9e symphonie, Hymne à la Joie, avec solistes et choeurs, une oeuvre monumentale qui marquera son époque, et ses dernières sonates pour piano, qui possèdent une envergure jamais atteinte.

A partir de 1823 et jusqu’à sa mort en 1827, c’est entièrement au quatuor à cordes qu’il consacre ses compositions. Emmuré dans le silence, c’est par ces quatre instrumenets, les deux violons, l’alto et le violoncelle qu’il offre ses voix intérieures. Il nous donnera 5 quatuors, tous d’une exceptionnelle qualité, témoignant à la fois des souffrances et des interrogations d’un génie, comme de ses moments de paix et de rémission.

C’est Haydn qui avait, génialement, fixé le genre du quatuor à cordes. Quelle formation réduite pouvait donner autant d’équilibre entre ses voix et aussi tant de richesse musicale que l’association de ces trois instruments dont le plus aigu est doublé ? Mozart les a tant admirés qu’il en composa 6 dédiés à Haydn, dont l’un, baptisé "Dissonnances" reste encore un mystère, du moins sa toute première minute. Beethoven s’"empara" du quatuor à cordes et en fit ce qu’il fit de la symphonie et de la sonate pour piano : un dialogue avec l’univers et les dieux.

Ces oeuvres montrent des différences notables dans leur forme : l’opus 127 (12e quatuor) rappelle une suite, avec ses nombreux changements de rythme au premier mouvement et ses variations au second, tandis de l’opus 135 (16e quatuor), la dernière oeuvre que Beethoven ait terminée, nous surprend par une architecture très particulière, éthérée, produisant une impression étrange, presque déséquilibrée, à l’inverse de l’opus 132 (15e quatuor), considéré par beaucoup comme le chef d’oeuvre absolu du compositeur, prenant son essor dans une structure d’un classicisme transcendant. La Grande Fugue opus 133 était à l’origine le mouvement final du 13e quatuor opus 131. A la première audition de ce quatuor, devant les réactions d’un public choisi, Beethoven résolut de modifier cette fin, mais il conserva la Grande Fugue, qu’il développa et qui devint un quatuor à part entière. Cette forme de composition, la fugue, fut, pour Beethoven comme pour Bach, la forme la plus appréciée au cours des dernières années de leur vie.

Discographie

Les Prazak jouent Beethoven

Actuellement, la version la plus extraordinaire de ces quatuors est celle, remarquablement enregistrée, du meilleur quatuor à cordes en exercice : le Quatuor Prazak.

Rien ne met en défaut leur infinie capacité à comprendre et à restituer d’une manière limpide la moindre parcelle de musique pure que recèle une oeuvre. Un cran au dessus des Tallich, ils font comme d’habitude : ils nous prennent par la main et nous conduisent à travers les oeuvres qu’ils jouent jusqu’à nous les rendre évidentes et familières. Jamais la musique de ces quatuors n’a paru aussi proche.

Les Prazak ont enregistré l’intégralité des quatuors de Beethoven et, bonne nouvelle, cette intégrale est disponible au sein d’un coffret de 7 disques (des disques de l’île déserte) que l’on peut se procurer à un prix assez raisonnable. Lien vers la page consacrée à ce coffret dans le site Amazon.