Ulysse d'après une amphore antique

Ulysse, d’après une amphore antique

Une oeuvre composée et créée à Venise

Il Ritorno d’Ulisse in Patria (Le Retour d’Ulysse dans sa Patrie), créé en 1640, a été le premier opéra que Monteverdi ait composé pour Venise.

En quittant Mantoue, Monteverdi s’est trouvé débarrassé de l’obligation de composer des opéras pour ses mécènes. Il ne s’intéressait pas à ce genre musical, qu’il a pourtant créé. Son intérêt allait à la composition religieuse et à celle de madrigaux, deux genres qu’il s’est approprié et qu’il a fait évoluer vers le sublime. L’opéra évoluait en sens inverse, vers un spectacle complaisant et une qualité musicale médiocre. Toutefois, la qualité du public vénitien allait lui donner l’envie de renouer avec l’opéra.

Après l’Arianna (voir notre page sur les années mantouanes de Monteverdi), il en a composé deux autres, La finta pazza Licori et Proserpina rapita, créés tous deux à Mantoue respectivement en 1627 et 1630, alors que Monteverdi était à Venise depuis 1613. La musique de ces opéras a été perdue.

Après avoir mis en scène demi-dieux et nymphes dans l’Orfeo et avant de passer aux humains dans le pseudo-historique Couronnement de Poppée, Monteverdi traite, dans il Rotirno d’Ulisse in Patria, des héros mythologiques de l’Odyssée d’Homère, plus exactement les chants XIII à XXIII.

La musique

On ne peut donc que difficilement expliquer la radicale évolution musicale entre l’Orfeo et Ulisse. Pas plus qu’on ne peut "relier" Ulisse au Couronnement de Poppée. Monteverdi nous a laissé 3 opéras aussi différents les uns des autres que le sont Bastien und Bastienne, l’Enlèvement au Sérail et la Clémence de Titus de Mozart.

Mal aimé au sein de la production monteverdienne, Ulisse a provoqué de nombreux doutes quant à la paternité de sa musique : mais qui d’autre que Monteverdi, à son époque, aurait pu le composer ?

Par rapport aux autres opéras baroques (contemporains ou ultérieurs), Ulisse fait figure d’étoile filante. Pas d’arias alternant avec des récitifs "secs" (introduits par Landi et l’opéra romain), mais un long "recitar cantando", une musique épousant intimement le texte, ponctuée de quelques envolées de chant pur, ininterrompue, qui a pu décontenancer les critiques. Et pourtant, que de sublimes moments ! Quoi de plus beau que telle ou telle fin de phrase partant sur une brève mélodie que l’on n’entendra plus jamais ?

Le livret

On a aussi beaucoup raillé le texte de Giacomo Badoaro. On a abondamment critiqué les prétentions du texte, sa vulgarité, ses a-partés, ses jeux stylistiques et poétiques surabondants et surtout sa peinture parfois prosaïque des passions humaines. Ces critiques, comme on le constate, jugent l’oeuvre de Badoaro à l’aune du théâtre classique "à la Racine" : bon goût, règle des trois unités. En fait, ce livret évoque plutôt Shakespeare que les hiératiques drames qui ont servi de base à la plupart des opéras de cette époque, avec sa manière d’alterner sublime, tragique, populaire et comique, avec sa peinture vraie des personnages, et surtout cette tension dramatique qui ne se relâche pas.

Badoaro reste très fidèle au poème d’Homère, aucun détail n’est inexact, mais son imagination lui permet de broder autour du poème, en étoffant les personnages, notamment les prétendants, en jouant sur les contrastes d’atmosphères… Car il y a loin du poème épique à l’incarnation des personnages sur une scène. Évoquons également le somptueux Prologue, mettant en scène les figures allégoriques de la Fragilité humaine, du Temps, de la Fortune et de l’Amour : véritable "intention" de l’auteur, elle donne une clef d’interprétation de l’histoire d’Ulysse et de tous les personnages du drame. La "distanciation" n’est pas l’apanage du théâtre moderne.

Badoaro faisait partie de l’Accademia degli Incogniti, cénacle d’auteurs vénitiens qui donneront aux compositeurs d’opéras de leur époque (encore bien peu nombreux !) des livrets capables de soutenir à la fois la musique et l’attention des spectateurs, sur ces sujets nouveaux et parfois en marge du conformisme religieux.

Bref, cet opéra mal aimé et décrié est probablement le plus intéressant, le plus captivant de Monteverdi, et c’est aussi celui où il nous livre sa musique la plus nue, la plus essentielle.

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Discographie – Vidéographie

Nous disposons enfin d’une version fidèle, à l’instrumentation légère (comme le voulaient et le lieu, et l’époque), avec des chanteurs presque tous italiens, et fidèle surtout à l’esprit "recitar cantando" qui anime toute l’oeuvre : c’est la version de Sergio Vartolo, un spécialiste de Monteverdi, qui nous livre ici le meilleur. Cette version, éditée par Brilliant, est par ailleurs disponible à un prix extrêmement léger. Nous rêvions d’une telle version depuis celle de Curtis, qui contient beaucoup de choses sublimes, malheureusement entachées par trop d’imperfections.

On ne saurait toutefois négliger de citer les fameuses réalisations de Gabriele Garrido et de René Jacobs qui, tous deux, ont laissé au disque de enregistrements monteverdiens remarquables. Côté Garrido et Jacobs, c’est l’explosion sonore, avec un orchestre bien trop abondant chez Garrido, et des sonorités, chez Jacobs, qui évoquent des périodes et des scènes plus tardives et plus septentrionales que la Venise du début du 17ème siècle. Merveilleuses Pénélope de part et d’autre (Fink, Banditelli !), excellents plateaux dans les deux cas, Garrido ayant l’avantage d’une distribution plus italienne, mais Jacobs dispose de quelques "stars" du baroque.

Côté DVD, une version se distingue par sa beauté (certes plus proche des maisons, simples bien que royales, d’Ithaque que des palais vénitiens) et par la qualité de ses interprètes (merveilleuse Pénélope de Marijana Mijanovic), celle de Christie. C’est d’ailleurs l’une des plus belles réalisations d’opéra filmé qui existe.