Un violon ancien

L’histoire du violon reste, sur bien des points, mystérieuse…

On connaît l’usage des instruments à cordes depuis les temps les plus anciens. Les cordes étaient alors pincées, comme pour la lyre.

Il semble que c’est seulement au 10e siècle que le principe des cordes frottées (par un archet) a fait son apparition.

D’une manière fort curieuse, cette apparition se fit à peu près simultanément dans l’empire chinois, dans l’empire byzantin et dans le monde arabo-musulman.

Pour les Chinois, l’archet serait venu des "barbares de l’ouest", ce qui placerait les inventeurs de l’archet en Asie centrale ; d’ailleurs, les Chinois continuent d’appeler « huqin », soit « instruments à cordes barbares », leurs instruments à cordes frottées.

Dans le monde arabo-musulman, le premier instrument à cordes frottées était le "rebab", "rubab", "r’bab", qui avait été adopté dans le monde chrétien et est appelé en ancien français "rebec".

Dans l’île de Java, qui bénéficie d’une très ancienne tradition musicale, antérieure à la conquête arabo-musulmane, on continue, dans les orchestres de musique classique, à employer la vielle à deux cordes frottées, que l’on nomme également « rebab ».

Partout, l’archet était muni de crin de cheval. Certains avancent que l’archet est d’origine centrasiatique, peut-être afghane.

Le rebab a pénétré l’Europe via l’Espagne maure et touché principalement l’Espagne, l’Italie et le sud de la France. Le rebab est donc sans doute l’ancêtre de la vielle (viuola en italien, vihuela en espagnol), même si les deux familles d’instruments ont coexisté pendant plusieurs siècles (le rebab est toujours utilisé dans la musique classique arabe), comme en témoignent les enluminures des Cantigas de Santa Maria, recueil espagnol de chansons mariales compilées par le roi Alphonse le Sage au 13e siècle.

Vielle, viuola, vihuela… L’étymologie de ces termes est obscure. On les rapproche du terme provençal "viola" ou "viula", on évoque une onomatopée… Bref, on ne sait pas d’où vient ce mot.

Entre les vielles et les instruments qui nous connaissons aujourd’hui sous les termes "violon", "alto" ou "violoncelle", il y eut une étape supplémentaire, celle de la "viole", terme directement hérité de l’italien, la "viola da braccio", viole de bras apparentée au violon et la "viola da gamba", viole de gambe (ou tout simplement "jambe"), apparentée au violoncelle et issue de la "grande vielle". Il faudrait également parle de la lyre à bras, autre instrument à cordes et à archet, mais cet instrument eut une vie éphémère : apparu vers la fin du 15e siècle, il tombera vite en désuétude sous le règne absolu du violon.

Les premières mentions du violon (ou "violino" en italien, terme qui signifie simplement "petite viole") datent des années 1520, et c’est au également au début du 16e siècle que l’on commence à voir, dans les beaux-arts, des anges musiciens jouant de ces instruments si reconnaissables, qui du violon, qui du violoncelle… avec toutefois d’importantes différences de proportions par rapport à l’instrument que l’on connaît. Ces instruments sortaient d’ateliers de Brescia (dont le plus connu était celui de Gaspare da Salò), de Venise, de Crémone, mais aussi d’Anvers et de Bruxelles… De ces instruments, aucun n’a été conservé.

Le tout premier instrument que l’on connaisse date de 1564. Il sort de l’atelier d’Andrea Amati (v. 1510- v. 1580), luthier de Crémone, un espagnol de Valence (dont le nom était était peut-être, à l’origine, Hamad), qui, semble-t-il, aurait fixé dès 1555 une forme quasi-définitive (elle ne variera pas pendant un siècle) au violon.

Ce premier violon est l’un des 24 qui furent commandés, en 1560, par le roi de France Charles IX (il n’avait que 9 ans – on peut suppposer que sa mère Catherine de Médicis, en digne descendante du prince florentin, mécène et amateur d’art et de philosophie Lorenzo le Magnifique, a eu quelque influence sur cette commande). Cette commande prestigieuse marqua la consecration d’Amati, mais aussi celle de l’instrument lui-même, qui n’avait été, jusqu’alors, que jugé bon pour faire danser les foules, et qui s’est trouvé d’un coup propulsé parmi les instruments royaux.

Une importante controverse oppose partisans d’Amati à ceux de Gaspare de Salò comme "inventeur" du violon, ou plutôt comme ayant fixé une forme à peu près définitive à cet instrument. Certes, il semble peu probable que ceux-ci, nés respectivement environ 10 années avant et 30 années (Gaspare est né en 1540) après les premières mentions écrites du violon, aient été à son origine. Ce qui est attesté, c’est uniquement, comme nous l’avons écrit, que le premier violon que l’on connaisse est sorti des ateliers d’Amati, mais que Gaspare de Salò fut, de son côté, le premier à pouvoir réaliser des violons en quantités. Il en a d’ailleurs tiré une grande fortune.

Amati a créé une dynastie de luthiers : ses fils Antonio et Girolamo et petit-fils Nicolo ont poursuivi la tradition familiale, et leurs disciples se nommaient Stainer (qui créera une lutherie à Absam, près d’Innsbruck en Autriche), et les deux grands luthiers crémonais Guarnieri et Stradivari, ainsi que, probablement, Ruggieri.

Un siècle après la commande royale, Antonio Girolamo Stradivari (1644-1737), dit "Stradivarius", apporte quelques changements à la forme du violon, ainsi que des améliorations très fines et dont beaucoup restent encore des mystères pour la science moderne, mais il semble que toute modification n’améliorait en rien la sonorité de ces instruments. Le travail d’Andréa Amati est déjà totalement abouti, dans le dessin de l’instrument, dans le choix des matériaux, dans la qualité du travail. Jusqu’à l’avènement du violon moderne au début du 19e siècle, il ne subira aucune modification majeure.

C’est avec cet Stradivarius que l’art de la lutherie crémonaise connaît son apogée. Ce génial luthier, au cours de sa vie, fabriqua plus de 1000 instruments. Il en subsiste aujourd’hui envion 650, tous dans un état de conservation exceptionnel. On n’a encore pas pu, à ce jour, percer les secrets qui ont fait des violons stradivarius les meilleurs jamais réalisés.

Par rapport aux autres instruments à cordes de son époque, le violon a une sonorité plus proche de la voix humaine, plus claire, plus éclatante aussi. Par ailleurs, sa forme autorise des virtuosités plus grandes que celle de ses concurrents.

Cette sonorité éclatante le fait d’abord rejeter par les "gens de goût" de l’époque. Puis, grâce à des compositeurs comme Monteverdi ou Lully, qui composent pour lui (ou, du moins, qui l’intègrent nommément dans les formations pour lesquelles ils composent) des oeuvres savantes, le violon acquiert ses lettres de noblesse pour devenir, en quelques dizaines d’années, l’instrument-roi de l’orchestre.