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Revue des principaux enregistrements

Trois mozartiens remarquables

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Aux côtés des Kleiber, Karajan, Walter, Klemperer ou Furtwängler, l’opéra mozartien a été admirablement servi par des chefs moins connus mais, autant les premiers "tiraient" leur Mozart vers l’imposant ou le métaphysique – la plupart n’ont d’ailleurs jamais dirigé cette "oeuvrette" – autant Josef Krips, Ferenc Fricsay et Istvan Kertesz avaient un sens inné du style mozartien, traduisant avec autant de finesse les prosaïsmes que les sommets.

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Les 4 avatars de la version Fricsay de 1949 : les deux éditions Myto,…

 
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… l’édition Walhall et le volume VIII de collection "Fricsay" chez Audite.

 

Nous possédons deux enregistrements par Fricsay : une bande radio de 1949, éditée par Myto, Walhall, puis Audite, et un enregistrement officiel de 1954, chez deutsche Grammophon. Les deux enregistrements sont très comparables en qualité, mais on peut préférer la très bonne bande radio de 1949 à la froideur des studios. On trouve, dans les deux versions, le même couple Blonde-Osmin, non doublé par des acteurs (ce qui n’est pas le cas du reste de la distribution), pour deux fois dans un duo du IIe acte hilarant ; les deux Belmonte sont de grande qualité (on peut préférer Haefliger chez DG pour sa sensibilité et sa technique, mais Dermota, en 1949, avait encore une voix d’or – cependant, il ne nous gratifie pas du périlleux "Ich baue ganz", contrairement à son successeur), les deux Pedrillo sont excellents.

Seules les Konstanze peuvent être opposées: Sari Barabas (enregistrement de 1949) était une chanteuse d’opérettes dont elle avait certains tics, mais nous livre un très beau "Martern aller Artern", tandis que Maria Stader, de l’enregistrement DG, a longtemps brillé dans le répertoire religieux, et nous donne une Konstanze très sage, insensible à la tentation… et un rien ennuyeuse.

De la même manière que nous ne pouvons vraiment expliquer pourquoi cette « turquerie avec enlèvement » nous séduit autant, de même, nous ne pouvons expliquer pourquoi la première version de Fricsay, sans être le moins du monde objectivement supérieure, et bien que moins soignée, moins raffinée, c’est celle que nous préférons, et elle continue à nous enchanter encore aujourd’hui, malgré tant d’enregistrements ultérieurs.

Krips nous a laissé deux enregistrements. Le premier, à l’origine un excellent mono Decca de 1950, aujourd’hui "remasterisé" et quelque peu strident dans les passages orchestraux, contient très peu de dialogues parlés. La distribution est "légère" (à l’exception de Walther Ludwig, Belmonte plus barytonant que ténor) mais les voix sont belles, et cette légèreté élégante, sans laisser-aller, paraît tout aussi fidèle à Mozart que des versions plus élaborées. Elle a un parfum de paradis perdu, d’une époque où l’on se contentait de chanter Mozart avec beaucoup d’amour, de bonne humeur, de beauté, et qui aurait rendu ces pages totalement inutiles.

L’autre, de 1966 pour EMI, réunit l’une des meilleures distributions possibles pour cette époque et pour cette oeuvre, avec l’adorable et sincère Blonde de Lucia Popp, le Belmonte de grande classe de Nicolai Gedda, un spécialiste du rôle de Pedrillo en Gerhard Unger, le très noir Osmin de Gottlob Frick et, stylée malgré une carrière plutôt orientée vers l’opérette, Anneliese Rothenberger. Les chanteurs, par ailleurs excellents acteurs, disent leur texte avec brio, l’orchestre est rien moins que la Philharmonie de Vienne, bref, une version pleine d’atouts qui, malgré les problèmes de qualité sonore chez EMI, reste toujours parmi les meilleures.

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Enfin, Istvan Kertesz, cet excellent chef hongrois disparu trop tôt, nous a laissé un live salzbourgeois de 1961 presque miraculeux. Les deux leaders de cette version sont Kertesz et Fritz Wunderlich, dont c’est la plus belle incarnation de Belmonte au disque (les autres sont d’ailleurs décevantes, indignes de ce ténor dans un rôle fait pour lui).

Ces deux mozartiens de légende entraînent une distribution assez obscure, inconnue hors des pays germaniques, à donner le meilleur d’elle-même, dans un grand style mozartien. Pour ceux qu’une qualité sonore médiore (mais qui reste très audible, avec peu de bruits de scène) et quelques problèmes de montage ne dérangent pas, c’est une grande expérience que d’entendre cet enregistrement, édité autrefois par Foyer (aujourd’hui introuvable), puis par Myto, et disponible également chez OperaDepot.

Il y a peu d’occasions, au disque officiel, d’entendre ce grand chef hongrois dans Mozart, mais on peut conseiller, sans craintes pour les oreilles, un CD d’extraits d’opéras de Mozart, chantés par un petit groupe d’excellent chanteurs.

Deux déceptions

Après cette version admirablement dirigée, le témoignage sonore de la production de 1965 au Festival de Salzburg (dirigée par Mehta, chez Orfeo), aussi marquante fût-elle, va bien au delà du débridé : les chanteurs (même Wunderlich) et l’orchestre ne suivent pas toujours le même tempo, les bruits de scène sont omniprésents. Il s’agit là d’un brouillon dont nous aurions préféré avoir la copie au propre (peut-être le DVD de 1967).

La version Jochum, datant également de 1965, est aussi une déception : on attendait mieux du chef et du ténor, encore une fois Fritz Wunderlich. A l’inverse de la version Kertesz, où les chanteurs étaient "tirés vers le haut", ici, la distribution, oscillant entre le moyen et le "très moyen", entrainent chef et ténor dans une version presque caricaturale de cet opéra, d’une médiocrité autosatisfaite. Quatre plages sont à sauver : les airs de Belmonte, même si Wunderlich y est un peu éteint.

L’Enlèvement de Beecham

Avant de quitter cet âge d’or (nous laissons au lecteur le soin de mesurer l’adéquation de ce qualificatif), faisons un détour par la Grande-Bretagne, et l’une de ses figures marquantes, as far as opera is concerned : Sir Thomas Beecham. Datant de 1956, son enregistrement de studio de L’enlèvement au sérail offre en Léopold Simoneau l’un des plus beaux Belmonte et en Gottlob Frick l’un des Osmin les plus complets : drôle et effrayant, haineux et ridicule. Lois Marshall (dont, pour une raison inexpliquée, le "Martern aller Artern" est déplacé au IIIe acte) et Ilse Hollweg forment un duo féminin de qualité, et Gerhard Unger est aussi excellent qu’il le sera en 1966, avec Krips. Lois Marshall, Léopold Simoneau (certainement pour leurs accents) mais aussi, étrangement, Frick, sont doublés pour les dialogues. Mais c’est aussi la direction d’orchestre, avec ses couleurs et ses contrastes (malgré un son de qualité médiocre), qui fait toute la valeur de cette version, pour laquelle nombre d’amateurs éprouvent toujours une tendresse particulière. Il faudra attendre longtemps, par exemple, pour trouver un "Choeur des Janissaires" du Ie acte plus joyeux, plus enlevé, plus exotique. Même si l’on ne souhaite pas faire de généralisation, on trouve ici un raffinement tout britannique, qui n’a rien de maniéré.

Cette version n’est plus éditée par EMI et sa disponibilité est aléatoire. On peut néanmoins le trouver d’occasion sous différents liens, et dans deux collections : EMI Références (Lien 1, lien 2, lien 3) et Classics for pleasure (Lien 1, lien 2).

Böhm : la transition

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En 1973, nous entrons dans une période plus faste pour cet opéra : il est en voie de réhabilitation, et c’est Karl Böhm qui en est à l’origine. La distribution brille de trois étoiles : la magnifique Konstanze d’Arleen Augèr, trop tôt disparue et trop rare au disque, l’étonnante prestation de Peter Schreier, au timbre ingrat dans ses interprétations religieuses, mais qui ici pourrait presque entrer en concurrence avec Wunderlich, et l’incomparable Osmin de Kurt Moll. Malgré de nombreux éloges reçus par la critique, on ne peut pas conseiller cet enregistrement : le reste de la distribution est nettement en retrait, à la limite de l’acceptable pour un enregistrement dirigé par Boehm et pour la fameuse marque jaune ; tous les chanteurs sont doublés dans les dialogues, et, de façon évidente, la partie musicale et les textes parlés ont fait l’objet de sessions d’enregistrements différentes. Il s’ensuit un montage hétéroclite, des silences prolongés entre les dialogues et les passages musicaux, qui sont comme suspendus dans le temps, privant cette version de toute vie théâtrale.

Merveilleux Solti

Un peu plus de 10 ans plus tard, Solti nous offre un trésor : une véritable distribution de grands chanteurs d’opéra dans tous les rôles, tout l’art du grand chef hongrois dans un style vivant, un chatoiment musical inégalé et une transparence qui préfigure de manière frappante certaines grandes réalisations baroques. C’est l’enregistrement que nous attendions : pas de doublures pour les textes parlés, le style "operette" totalement oublié, mais une attention amoureuse qui laisse s’épanouir toutes les fleurs de cet opéra, une vraie prise au sérieux de l’interprétation, et une vrai travail intelligent sur les coupures du texte… L’excellence signée Solti, chef d’opéra avant tout.

A première écoute, certains tempi peuvent paraître exagérément rapide, mais on s’y habitue très vite, d’autant que Solti ne va jamais au delà des capacités de ses musiciens (et, pour la virtuose Philharmonie de Vienne, cela ne pose aucun problème). Par ailleurs, quand l’orchestre accompagne un chanteur, il s’adapte au débit naturel de la voix.

Entre 1969 et 1985, Sir Georg Solti a enregistré pour Decca les cinq opéras les plus célèbres de Mozart : les deux Singspiel et les trois opéras réalisés en collaboration avec Da Ponte. L’Enlèvement était le dernier, et a bénéficié de tout le travail réalisé pour les précédentes réalisations. Dans les années 1990, Solti a enregistré à nouveau ces opéras, à l’exception des Nozze di Figaro et de l’Enlèvement au sérail, sans doute est-ce le signe qu’ils ne pouvaient être améliorés.

Edita Gruberova est une parfaite Konstanze, et cette grande dame du chant, que l’on a souvent qualifiée de "froide", nous dresse ici un portrait plein de tendresse et de charme, mais aussi de noblesse, dans toutes les notes, même les vocalises, qu’elle chante sans montrer la moindre difficulté.

Kathleen Battle en Blonde est un cadeau, et l’on attendait depuis longtemps une anglophone dans ce rôle d’anglaise. Avec son timbre plus sombre, mais la même facilité dans les aigus, et de toute évidence un travail de diction pour adopter un accent un peu populaire, elle se différencie parfaitement de Konstanze, et sa scène avec Osmin est digne d’une grande actrice.

Gösta Winbergh, un ténor d’exception trop tôt disparu, nous livre ce que Wunderlich nous devait : une vraie interprétation du rôle en studio. Il est ici beauté, vaillance, jeunesse, amour.

Le ténor Heinz Zednik, considéré comme l’héritier de Gerhard Unger, s’appuie sur son expérience wagnérienne et son talent "bouffe" (ici, étroitement surveillé par Solti) pour incarner un Pedrillo extraordinaire, qui n’est plus la cinquième roue du carosse, mais s’intègre parfaitement dans le groupe des amoureux, constituant avec eux un quatuor vocal d’exception.

En Osmin, le grand Martti Talvela détaille toutes les… finesses du rôle de sa voix impressionnante de basse colorature.

Citons également l’orchestre et les choeurs : rien moins que la Philharmonie de Vienne et les choeurs du Staatsoper.

Si vous ne souhaitez posséder qu’une seule version de cette oeuvre, c’est celle-ci. Elle n’a pas encore été égalée.

Le mouvement baroque

Sauf exception, la suite de l’histoire appartient, en grande partie, aux tenants, plus ou moins fidèles, du mouvement baroque. On attendait une révolution, et elle ne vint pas : aucun des enregistrements sur instruments anciens, ou réalisés par des chefs rompus aux exigences baroques, n’a réellement atteint les sommets que l’on attendait, ni remis en question tout ce qui avait été fait auparavant, et la "révolution baroque" se réduit finalement, en ce qui concerne Mozart, au choix des instruments. Et cela faisait déjà quelques décennies que le style de voix "mozartien" s’était forgé, sans recours aux textes et traités musicaux de l’époque, mais uniquement par l’adéquation des voix à la musique.

Parue peu après la version Solti, celle d’Harnoncourt, enregistrée en 1985, est la première interprétation "baroqueuse" parue, et elle est excellente malgré ses imperfections. Elle n’a pas grand chose de baroque, à part le chef d’orchestre, l’un des fondateurs du mouvement, les instruments sont modernes, et elle ne se distingue des précédentes que par les partis pris du chef : une direction parfois brutale (ce qui a été sa signature pendant presque toute sa carrière), des tempi alternant entre l’extrêment rapide et l’extrêmement lent.

La distribution est assez hétérogène, mais chante avec talent, la Konstanze d’Yvonne Kenny brille comme une étoile et Peter Schreier ne réitère pas tout à fait sa prestation de 1973 avec Boehm (soit 22 ans plus tôt), mais il n’en est pas loin. C’est la seule version qui reprenne exactement le texte de la création de l’opéra en 1782, avec les coupures effectuées par Mozart.

En 1990, Christopher Hogwood nous livre la première version réellement baroque de l’oeuvre, et qui reste peut-être la meilleure : fidèle aux principes qui ont fait du mouvement baroque une évolution majeure de la musique classique, il en fait les instruments d’une version réellement nouvelle et nous fait découvrir un nouveau Mozart. Admirablement dirigée (Hogwood fut un grand chef baroque, moins connu qu’Harnoncourt ou Gardiner, mais tout aussi talentueux), bénéficiant d’une distribution très homogène et de grande qualité (Lynne Dawson, Uwe Heilman, les autres étant moins connus, mais d’un niveau équivalent), elle nous enchante par ses sonorités inhabituelles.

C’est une réussite, comme les deux autres opéras dirigés par Hogwood (La Clémence de Titus de Mozart, et Didon et Enée de Purcell), et ne manque ni de dynamique, ni de vivacité et joue à la fois sur la drôlerie et l’émotion.

C’est aussi la version la plus longue, car la moitié du texte a été conservée (les plages de dialogues n’excèdent jamais les 3 minutes) et s’écoute avec plaisir, dite comme elle l’est par des germanophones, à l’exception de la très belle Konstanze de Lynne Dawson, aussi bons acteurs que chanteurs. C’est certainement la version à acquérir si l’on veut entendre un Mozart "historiquement informé", datant d’une époque où monter un opéra de Mozart par une équipe baroque était encore un défi et une aventure.

Difficile de parler de la version de Gardiner enregistrée l’année suivante : comme toujours, Gardiner nous offre un produit fini d’excellente qualité, sans bavures, si ce n’est une distribution manquant cruellement d’homogénéité, avec la Konstanze surdimensionnée de l’extraordinaire Luba Orgonosova, belcantiste de premier ordre. Malheureusement, il manque aussi cruellement de vie. Pour purs esthètes uniquement.

Ni plus, ni moins baroque que celle d’Harnoncourt, la version de Mackerras est accompagnée par le Scottish Chamber Orchestra and Chorus, sur instruments modernes. La distribution est composée de jeunes chanteurs de grand talent qui sont maintenant engagés dans des carrières internationales. Le seul point faible de cette distribution est, à l’audition, Yelda Kodali. Il faut préciser que cet enregistrement est la bande-son d’un film, Mozart in Turkey, tourné en Turquie dans des décors naturels, et que Yelda Kodali, si elle n’égale pas tout à fait d’autres Konstanze en justesse et en aisance, est une magnifique actrice, qui insufle à son personnage toute le fierté d’une noble espagnole qui se se pliera pas à sa situation d’esclave.Et, comme d’habitude avec Mackerras, son Mozart est jubilatoire. Comme les anciens Fricsay, Kertesz, Krips, il possède comme aucun autre de ses contemporains le style, l’influx, la dynamique mozartiens. Il peut constituer un premier choix naturel pour les personnes ayant tendance à être déprimées, ou pour des explorateurs sortant des sentiers battus.

Ayant puisé son inspiration dans la version Beecham, le chef britannique William Christie, spécialiste de la musique française, nous offre tout ce qu’un pionnier du mouvement baroque peut désormais nous offrir : un orchestre aux sonorités « à l’ancienne », allégé, tout comme le choeur, des voix rompues au style baroque, bref, le contenant. Et celui-ci n’est pas sans reproche : si les ensembles orchestraux sont superbes dans des couleurs qui paraissent faites sur mesure pour cet opéra et tissent un écrin orchestral de toute beauté pour les voix, les solos instrumentaux sont mécaniques, voire scolaires. Aucun chanteur n’est vraiment à sa place : Ian Bostridge n’est pas un chanteur bouffo, ni même semiseria, il n’a jamais basé sa carrière sur la virtuosité et les vocalises, mais sur l’émotion et, sur ce point, il « en fait trop » pour Belmonte; Patricia Petibon a de magnifiques aigus et sait orner comme personne, mais elle escamote des syllabes et des fins de phrase et n’exprime aucune des émotions du personnage, ni la compassion envers Konstanze, ni la joie, ni la colère; Christine Schäffer est magnifique dans les aigus, mais manque de graves et n’émeut guère dans le seul rôle seria de cet opéra. La bonne surprise est le Pedrillo de Iain Paton, qui aurait été un Belmonte parfait. Aux successeurs des Christie, Harnoncourt et Gardiner de s’occuper, maintenant, du contenu.

Enfin, dernier en date, l’enregistrement de Jacobs. Contrairement à ce que l’on peut lire sur le net, il ne se base pas sur le livret original, mais sur un texte totalement réécrit et modernisé par le chef qui, par ailleurs, prends dénormes libertés avec la partition : ajout d’un piano, de musique importée d’autres oeuvres de Mozart, d’interférences entre le texte parlé et le chant… Dommage, car, sans ces aberrants partis pris, on tenait là une très grande version, probablement la référence sur instruments anciens, et peut-être même tous styles confondus.

En marge du mouvement baroque

Une grande réussite, celle de Bruno Weil en 1991, avec la magnifique, tendre, féminine, virtuose Konstanze de Cheryl Studer, qui a été la nouvelle étoile chant allemand jusqu’à ce que des exigences esthétiques aberrantes brisent sa carrière. Elle est ici bien mieux entourée qu’Arleen Auger dans la version Böhm.

L’originalité de cette version se place sur une lecture très fine de l’hitoire, presque shakespearienne : Weil a choisi de distinguer nettement les deux "triangles amoureux". D’un côté, les personnages principaux, les nobles doña Konstanze, don Belmonte Lostados et le Pacha Selim, ce dernier pouvant même être considéré comme un personnage tragique, et de l’autre, leurs "miroirs bouffes", Blonde, Pedrillo et Osmin. C’est vraiment, en tous points, une très belle version qui pourrait, dans quelques années, eclipser les précédentes comme étant trop univoques.

Face au travail réalisé par Nézet-Séguin sur les opéras de Mozart pour Deutsche Grammophon, il faudra encore un peu de temps et de décantation pour donner un jugement d’ensemble qui ne soit pas prématuré, car il est difficile de « sentir » où réside la nouveauté dans cette « production internationale d’une maison prestigieuse », et, dans ce genre, le sommet reste la version Solti. Le choix de Diana Damrau et de Rolando Villazon, s’ils réunit deux stars, est malheureux : la première, qui chantait merveilleusemnt la Reine de la Nuit à ses débuts, a maintenant, par une évolution naturelle de sa tessiture, perdu sa facilité dans les notes les plus aigües, ce qui est clairement audible ; Rolando Villazon, quant à lui, après les graves problèmes vocaux qu’il a traversés, est devenu en quelque sorte un mozartien "par défaut". Nous espérons que ces deux excellents chanteurs, la première du fait de son évolution vocale, contraire aux attentes du public qu’elle avait précédemment conquis, l’autre par nécessité médicale, trouveront leur propre répertoire. L’un et l’autre ont encore tant à nous donner.