Portrait présumé de Monteverdi par Domenico Feti

Portrait d’acteur, par Domenico Feti (vers 1623), portrait présumé de Monteverdi

Lorsqu’on écoute Monteverdi et qu’on se laisse porter par sa merveilleuse musicalité, surtout s’il s’agit d’un enregistrement ou d’une représentation de qualité, se forme la certitude que l’on est en présence d’un génie, au même titre que Bach ou que Mozart. Cet homme a créé la musique moderne.

Lorsqu’on se plonge un tant soit peu dans sa vie et dans son époque, on risque la désillusion : recitar cantando et stile rappresentativo, opéra, abandon du style polyphonique pour des formes plus libres, au service de l’émotion, clarté des textes mis en musique, utilisation d’instruments nouveaux tels que le violon… aucune de ces idées n’était la sienne. Elles étaient toutes dans l’air du temps, venant de Florence et de la Camerata fiorentina ou de Bologne et de l’Accademia dei Floridi d’Adrinao Banchieri, ou des désirs de cardinaux de Contre-Réforme.

A Crémone, il étudiait avec Ingegneri, sous la protection du futur pape grégoire XIV, l’un des principaux acteurs du Concile de Trente et de ses implications dans le domaine musical. A Mantoue, il a sans doute pu effectuer, avec le duc de Gonzague, des voyages à Florence, où il a pu avoir des contacts avec la Camerata. Quoi qu’il en soit, les idées de la Camerata sont de façon quasi-certaine parvenues jusqu’à lui, dans cette cour mantouane remplie d’artistes et de philsophes éclairés.

Jusqu’à son arrivée à Venise, il a intégré ces idées. Il les a faites siennes. A cette époque, les artistes étaient également des philosophes et des chercheurs, il n’y avait pas tant de distinctions entre ces disciplines, elles procédaient toutes de la même veine que l’on pourrait qualifier de pythagoricienne ou de néo-platonicienne, voire aristotélicienne. La philosophie, les idées, les objectifs étaient semblables, seul l’objet, les vecteurs était distincts.

Mais, certes, ces idées étaient là. Des musiciens les ont appliquées. Nous en avons des exemples :

– Palestrina, après le Concile de Trente, a réalisé des pièces en faisant évoluer le style polyphonique vers une plus grande clarté,

– des opéras ont été composés avant ceux de Monteverdi,

– des compositeurs tels que Caccini ont réalisé des recueils-manifestes où ils exprimaient leur nouvelle manière de composer.

Toutes ces réalisations ressortissent à une musique aux saveurs médiévales, comme si les idées tiraient vers l’avant, mais que l’art lui-même de la composition restait accroché en arrière, à des siècles d’habitudes.

Seul Monteverdi a su trouver un son nouveau.

Dès les premières oeuvres totalement composées à Venise (le 7e livre de Madrigaux), il n’y a plus de traces de ces archaïsmes musicaux. Monteverdi, libre de ses choix, dans cette Venise au carrefour de l’Orient et de l’Occident, a découvert un langage sur lequel allait s’élaborer toute la musique occidentale, de 1600 à nos jours.

Mais les exigences de son art ne sont pas à la portée de tous les compositeurs.

Après avoir fait du madrigal l’un des genres musicaux les plus raffinés qui soient, dans leur expressivité, leur musicalité et leur liberté de forme, il a été difficile à ses successeurs de s’élever à son niveau. Malgré une survivance significative en Angleterre, ainsi que dans la cantate française, le madrigal a été abandonné.

Quant à l’opéra, le mode de composition monteverdien, que l’on ne peut qualifier que de "durchkomponiert", a été abandonné au profit de l’opéra "à numéros", alternance d’airs (la diva s’avance au bord de la scène et régale ses auditeurs de ses vocalises) et de récitatifs (réputés "ennuyeux") sur le modèle de l’opéra romain développé par Landi. L’opéra romain fait en outre la part belle aux performances individuelles de chanteurs, au détriment de la vérité dramatique. Là encore, Monteverdi n’a pas eu de successeurs, si ce n’est des siècles plus tard, chez un Debussy, par exemple.

Cependant, chaque époque apporte quelques compositeurs de génie, mettant leur talent au service de la musique comme vecteur des émotions humaines. Les héritiers de Monteverdi sont les chercheurs, les découvreurs, ceux qui mettent leur liberté d’expression au service de nouvelles idées, préservant l’apport de la Renaissance, qui fut de mettre l’être humain au coeur de leurs préoccupations, dans ses vérités les plus prégnantes.