Orfeo

Figure traditionnelle d’Orphée, chantant et jouant de la lyre, d’après un vase grec.

Si la Dafne de Peri, en 1597, son Euridice et celle de Caccini en 1600 peuvent être considérées, stricto sensu, comme les tous premiers opéras, c’est incontestablement l’Orfeo de Monteverdi, cette "fable en musique" ("favola in musica") jouée pour la première fois à Mantoue en 1607, qui en est le premier chef-d’oeuvre et a fondé un genre musical qui reste encore aujourd’hui l’un des plus vivants. Ce n’est pas sur le plan "spectaculaire" que s’est opérée cette innovation : les grandes noces royales avaient déjà donné lieu à de grandioses créations où se mêlaient théâtre, musique, danse et "machines" (nous dirions aujourd’hui "effets spéciaux"), comme La Pellegrina en 1589 pour les noces du Grand-Duc Ferdinand Ier de Toscane et de Christine de Lorraine ou les deux Euridice déjà citées pour celles de Henri IV et de Marie de Médicis…

L’innovation, la révolution consistait à sortir la musique de son contexte "madrigalesque" et cessait d’être un simple support conventionnel des paroles : elle épousait ces dernières, les soutenait, les portait dans une symbiose émotionnelle, ce qui inaugurait une nouvelle ère pour la musique occidentale. Paroles et musique devenaient indissociables, comme si elles étaient nées d’un même inspiration. Cette révolution était née des travaux de la Camerata fiorentina, mais c’est sans conteste Monteverdi qui a insuflé à cette révolution musicale un génie inégalé.

« Prima le parole, dopo la musica. »

= « D’abord les mots, ensuite la musique. »

Longtemps confinée au rôle de simple vecteur lyrique, la musique s’est vue accorder une autre dimension. Elles régulait la force des paroles, leur imprimait une charge émotionnelle, les drapait de douceur ou d’aigreur au grè des couplets. Ce n’était plus de simples notes d’accompagnement.

En adoptant le principe de "Primo la parole, doppo la musica", Cavalieri, Peri et Caccini à Florence, Banchieri à Bologne, Monteverdi à Mantoue, ont mis en musique, dans leurs opéras et leurs madrigaux, les plus grands poètes, en soutenant les affects des paroles par une musique aussi évocatrice que celles-ci et en inventant le "stile rappresentativo".

Pendant du "stile rappresentativo", le "recitar cantando" était composé sur des textes libres. Le "recitar cantando" avait évolué dans cet élément essentiel de l’opéra que l’on nomme "récitatif".

Dans cette révolution musicale et esthétique, Monteverdi s’est taillé la part du lion. Ces principes ont donné lieu, de la part de leurs initiateurs, à des tentatives d’une grande qualité, mais encore largement plongées dans leur contexte madrigalesque. Monteverdi, quant à lui, est allé beaucoup plus loin, déjà, dès 1605, dans son 5e Livre de Madrigaux et dans son Orfeo. Mais il ira encore beaucoup plus loin dans ses 7e (1619) et 8e (1638) Livres de Madrigaux, où le genre "magridal" explose littéralement, mais surtout son Couronnement de Poppée (1642), son dernier opéra (on en a perdu de nombreux), qui reste aujourd’hui d’une étonnante modernité.

Ce n’est pas un hasard si le sujet du premier opéra de Monteverdi fut le légendaire musicien de la mythologie grecque, Orfeo en italien, Orphée en français, dont le talent lui permettait même de séduire les monstres infernaux par ses chants mélodieux et de faire quitter à sa douce Eurydice ces sombres demeures.

discographie

Année
Label
Orfeo
Euridice
Autres
interprètes
Choeur
Orchestre
Chef
1949
BC (*)
Max Meili
Elfreide Trötschel
Gerda Lammers
Eva Fleischer
Choeur et Orchestre de Chambre de Berlin Helmut Koch
1955
DG
Helmut Krebs
Hanni Mack-Cosack
Fritz Wunderlich
Jeanne Deroubaix
Conservatoire de Hambourg
Sommerlichen Musiktagen
August Wenzinger
1960
Ponto
Gérard Souzay
Judith Raskin
Doris Yarick
Regina Sarfaty
Choeur et Orchestre du New York City Center Opera Leopold Stokowski
1967
Erato
Eric Tappy
Magali Schwartz
Wally Staempfli
Juliette Bise
Ensemble vocal et instrumental de Lausanne Michel Corboz
1969
Teldec
Lajos Kozma
Rotraud Hansman
Cathy Berberian
Eiko Katanosaka
Capella Antiqua Munich
Concentus Musicus Vienne
Nikolaus Harnoncourt
1973
Archiv
Nigel Rogers
Emilia Petrescu
Anna Reynolds
James Bowman
Choeur Monteverdi Hambourg
Camerata Academica
Jürgen Jürgens
1981
Teldec
Philippe Huttenlocher
Rachel Yakar
Trudeliese Schmidt
Glenys Linos
Ensemble Monteverdi de l’Opéra de Zürich Nikolaus Harnoncourt
1983
EMI
Nigel Rogers
Patrizia Kwella
Emma Kirkby
Jennifer Smith
London Baroque
London Cornett and Sackbut Ensemble
Charles Medlam
Nigel Rogers
1985
Erato
Gino Quilico
Audrey Michael
Carolyn Watkinson
Colette Alliot-Lugaz
Chapelle Royale
Opéra de Lyon
Michel Corboz
1985
Archiv
Anthony Rolfe Johnson
Julianne Baird
Lynne Dawson
Anne Sophie von Otter
Monteverdi Choir
English Baroque
John Eliot Gardiner
1992
Decca
John Mark Ainsley
Catherine Bott
Julia Gooding
Christopher Robson
New London Consort Philip Pickett
1993
Lyricord
Jeffrey Thomas
Dana Hanchard
Jessica Tranzillo
Jennifer Lane
ARTEK Gwendolyn Toth
1995
Claves
Paolo Coni
Nuccia Focile
Claudia Clarich
Enrico Fancini
Orchestra da Camera Lucchese Herbert Handt (**)
1995
HM (*)
Laurence Dale
Efrat Ben Nun
Jennifer Larmore
Bernarda Fink
Concerto Vocale René Jacobs
1996
K617
Victor Torres
Adriana Fernandez
Gloria Bianditelli
Maria Cristina Kiehr
Studio da Musica Antiqua
Ensemble Elyma
Gabriel Garrido
1998
Naxos
Alessandro Carmignani
Marinella Pennicchi
Rosita Frisani
Patrizia Vaccari
Cappella Musicale de Bologne Sergio Vartolo
2004
Virgin
Ian Bostridge
Patricia Ciofo
Nathalie Dessay
Paul Agnew
European Voices
Le Concert d’Astrée
Les Sacqueboutiers de Toulouse
Emmanuelle Haïm
2005
Dynamic
Kobie van Rensburg
Cyrille Gerstenhaber
Estelle Kaïque
Philippe Jaroussky
La Grande Écurie et la Chambre du Roy Jean-Claude Malgoire
2006
Glossa
Mirko Guadagnini
Emanuela Galli
Marina de Liso
Josè Lo Monaco
La Venexiana Claudio Cavina
2006
Centaur
Franck Kelley
Roberta Anderson
Laurie Monahan
Debora Rentz
Aston Magna Daniel Stepner
2006
Brilliant
William Matteuzzi
Sylvia Pozzer
Sara Mingardo
Angela Bucci
Sergio Vartolo
2007
Naïve
Furio Zanasi
Anna Simboli
Sara Mingardo
Monica Piccinini
Concerto Italiano Rinaldo Alessandrini
*) BC : Berlin Classic ; HM : Harmonia Mundi.
**) Orchestration Respighi

Attention ! La présentation de l’enregistrement de Wenzinger pourrait nous faire croire que le rôle titre est tenu par le magnifique Wunderlich, mais il n’en est rien.

Il faudrait également ajouter l’enregistrement de Jeanette Sorrell (avec reconstitution de la scène finale de bacchanale !), malheureusement, en anglais.

Jusqu’à la parution de l’enregistrement d’Alessandrini, il était difficile de départager les différentes versions de cet opéra. Les plus réussies (Jacobs, Garrido, la Venexiana, Haïm) péchaient par un excès d’emphase et surchargeaient de lyrisme et de sonorités raffinées une oeuvre qui tient plus du madrigal que du grand opéra. On regrettait les deux ratés de Vartolo, alors qu’on lui doit un Retour d’Ulysse et un Couronnement de Poppée d’une rare justesse, des enregistrements de référence. Et l’on se tournait, finalement, faute de mieux, vers Harnoncourt.

Alessandrini a, ici, trouvé précisément les sonorités, la légèreté, le rythme justes de cette oeuvre charnière dans l’histoire de la musique. Même si nous ne possédons pas la documentation nécessaire pour retrouver exactement la manière dont avait été interprété cette oeuvre lors de sa création, la musique possède sa vérité propre, et Alessandrini l’a merveilleusement appréhendé. En outre, ses chanteurs sont les plus beaux de la discographie, distillant un remarquable, naturel et vivant recitar cantando, et Furio Zanasi nous rappelle parfois Nigel Rogers ou Eric Tappy.

Nous ne saurions toutefois pas passer sous silence deux enregistrements, celui de Jürgen Jürgens avec Nigel Rogers et le premier enregistrement de Corboz avec Erix Tappy dans le rôle d’Orphée. S’ils sont dépassés stylistiquement, s’ils appartiennent aux premières générations de « baroqueux » et pèchent par certaines inadéquations (choeurs trop fournis, mélanges d’instruments anciens et modernes), ils contiennent des pages infiniment précieuses, d’une beauté à couper le souffle, grâce en particulier à leurs Orfeo, Eric Tappy et Jürgen Jürgens. Ces deux chanteurs, se laissant porter littéralement par la musique, ont trouvé le ton juste et ne peuvent se faire oublier. Ces deux enregistrements sont parfois difficiles à trouver.

En DVD, nous continuons de préférer l’Orfeo dirigé par Savallamazon pour la très belle réalisation scénique et l’atmosphère très chaleureuse qui s’en dégage.