Autour de Das Lied von der Erde (Le Chant de la Terre) de Gustav Mahler : Page principaleEcouter un extrait • Texte et traduction : Lecture en ligneVersion imprimable

La rencontre Bruno Walter – Kathleen Ferrier

L'enregistrement de 1952 du Chant de la Terre par Bruno Walter avec Kathleen Ferrier

Walter nous a laissé plusieurs enregistrements du Chant de la Terre, dont le plus abouti est l’enregistrement Decca de mai 1952, l’un des tous derniers du contralto britannique Kathleen Ferrier, dont la voix sombre et pourtant rayonnante n’a jamais été égalée, et même si le ténor, Julius Patzak, peut déplaire. Last, but not least, l’orchestre : rien que moins que les Wiener Philharmoniker. Comme pour toutes les autres oeuvres de Mahler, les enregistrements de Bruno Walter sont d’une grande richesse et d’un grand respect pour le maître (mais sans le moindre caractère « scolaire »), et toute l’humanité du grand chef d’orchestre qu’il a été. Et n’oublions pas la très belle performance du ténor Julius Patzak, incroyable diseur, qui surmonte quelques difficultés de tessiture en grand artiste.

Bruno Walter fut le plus fervent et le plus fidèle disciple de Mahler, et c’est lui qui, après sa mort survenue en 1911, créa le Chant de la Terre et la Neuvième Symphonie entre 1911 et 1912. Et ce fut pour Walter un immense regret que Mahler n’ait jamais entendu la voix de Kathleen Ferrier. On ne peut qu’imaginer ce qu’aurait été cette rencontre. En tout cas, ce qu’elle laisse au disque dans ce cycle, ce sont d’immenses et poignantes réalisations. Et tout cas, pour Bruno Walter, Kathleen Ferrier était LA voix à laquelle Mahler destinait ce cycle.

La britannique Kathleen Ferrier fut toujours mal à l’aise avec l’allemand, et, du fait de la maladie qui l’emporta à l’âge de 41 ans, elle n’eut pas le temps d’arriver à un niveau de prononciation satisfaisant (pour elle) et n’enregistra, outre le Chant de la terre, que les Kindertotenlieder (deux versions, l’une dirigée par Walter, l’autre par Klemperer, toutes les deux sublimes) et trois Rückert-Lieder. Sa sensibilité trop exacerbée nuisait souvent à ses performances en studio (le dernier Lied du Chant de la Terre qu’elle ne réussissait pas à chanter jusqu’au bout, noyée par les larmes), alors que certaines prises de concert la trouvent trop distanciée. Quoi qu’il en soit, l’étoile filante Ferrier restera toujours dans le coeur de ceux qui l’auront entendue.

La version de 1948 du Chant de la Terre avec Ferrier et Walter

Directement concurrente de cette célèbrissime version, celle réunissant également Kathleen Ferrier et Bruno Walter, mais cette fois avec le ténor suédois Set Svanholm, grand ténor wagnérien, qui surmonte aisément les difficultés de la partition, et avec l’orchestre de New York, que Mahler dirigea à la fin de sa vie. Naxos a magnifié cette bande sonore de concert de 1948.

Il existe deux autres versions du Chant de la Terre avec Kathleen Ferrier. Nous possédons l’écho d’une grande soirée, le 2 avril 1952, avec Richard Lewis et l’orchestre Hallé, dirigé par Sir John Barbirolli (encore un grand mahlérien, voir ses 5e et 6e symphonies), malheureusement d’une qualité sonore très médiocre. Enfin, Tahra a eu la bonne idée de ressortir une autre soirée de la série de concerts dont est tiré l’enregistrement Decca, toujours avec Julius Patzak. Mais aucune n’a la qualité sonore de celle de 1952, excellent mono avec prise de son Decca.

L'enregistrement du Chant de la Terre par Otto Klemperer, avec Ludwig et Wunderlich

La version d’Otto Klemperer

Le ténor, voilà ce qui pêche dans la plupart des versions disponibles. A l’immense exception près de Fritz Wunderlich, égalé dans cette oeuvre uniquement par Waldemar Kmentt. Il nous laisse une version certainement aussi indispensable que celle de Kathleen Ferrier. Son timbre solaire, juvénile fait merveille dans cette oeuvre. A ses côtés, l’immense artiste qu’est Christa Ludwig. Son timbre, plus léger que celui de Ferrier, est aussi plus souple, plus ductile, plus travaillé aussi, et peut-être plus concentré. À la direction, Otto Klemperer. Comme Walter, Klemperer fut toujours un ardent défenseur de Mahler et l’un des chefs qui l’a le mieux servi. Klemperer entraîne ses solistes dans un tourbillon symphonique à donner des frissons.

Klemperer nous a laissé quelques superbes enregistrements mahlériens : une magnifique 9e symphonie, qui se place toujours au sommet de la discographie, et plusieurs versions de la 2e symphonie, toutes marquantes.

Le leg mahlerien de Reiner

L'enregistrement du Chant de la Terre par Fritz Reiner

La troisième grande version classique de cette oeuvre est celle de Fritz Reiner, un chef qui s’est pourtant peu frotté à l’univers mahlérien, mais ses deux témoignages sont des incunables : à côté dun Chant de la Terre superlatif, une quatrième symphonie d’une clarté inégalée, avec une Lisa della Casa au mieux de sa forme, parfaitement concentrée, avec son timbre de « soprano sombre ».

Le contralto de la version Reiner du Chant de la Terre est Maureen Forrester, le plus beau timbre de contralto avec Kathleen Ferrier et Nan Meriman, et une vraie présence vocale, intense et lumineuse. Richard Lewis, le ténor, fait passer avec beaucoup d’art ses problèmes techniques, mais il n’égale pas Fritz Wunderlich. Et la prestation de Reiner est engagée, passionnée, parfois violente, mais radicalement claire presque acérée.

A côté de ces trois versions classiques, qui ont fait le bonheurs des disquaires et des éditeurs, il faut citer trois autres versions, pas toujours beaucoup plus récentes, mais dont les qualités ne se sont révélées qu’au cours de ces toutes dernières années.

Le « prince parmi les chefs mahleriens » : Horenstein

Le Chant de la Terre dirigé par Horenstein

En publiant les enregistrements mahlériens live d’Horenstein, le label BBC Legend a permis de redécouvrir quel chef mahlérien il a été. On connaissait ses enregistrements des 1e, 3e et 6e symphonies, brièvement éditées par Unicorn, et unanimement saluées par la critique, mais ces 7e, 8e, 9e et ce Chant de la Terre rééditées par le BBC montrent qu’Horenstein fut parmi les plus grands chefs mahlériens de son époque.

Il faut aussi citer Alfreda Hodgson, moins connue que Ferrier et Forrester, mais tout aussi belle et poignante, et peut être encore plus proche de l’univers mahlérien que celles-ci. Seul John Mitchinson réduit un peu l’intérêt de cette grande réalisation (mais vraiment à peine). L’impression rémanente après l’audition est forte. Un très grand live de 1969.

Rafael Kubelik

Le Chant de la Terre dirigé par Kulbelik chez Audite

L’intégrale qu’avait réalisée Kubelik des symphonies de Mahler dans les années 60 était passée inaperçue, entre la performance extravertie de Bernstein et la prodigieuse sonorité du Concertgebouw dirigé par Haitink. Rééditée ces toutes dernières années, cette intégrale a été redécouverte et apparaît désormais comme une réussite marquante, d’une musicalité exemplaire et d’une grande cohérence. Mais on pourra préférer les enregistrements de concerts, édités par Audite.

C’est une version de concert du Chant de la Terre que nous a laissée Rafael Kubelik, avec les magnifiques et essentiels Janet Baker et Waldemar Kmentt.

Comme Christa Ludwig, Janet Baker ne bénéficie pas tout à fait du timbre corsé et immédiatement dramatique des contraltos cités. Mais, comme Ludwig, c’est une immense artiste. Et Waldemar Kmentt est, avec Wunderlich, le meilleur ténor au disque dans cette oeuvre.

La grande version contemporaine : Eiji Oue

La référence moderne : Eiji Oue

Il existe un grand nombre d’autres versions, qui, pour certaines, sont d’une qualité que certains jugeront égale aux versions citées. On pourra nous reprocher de passer sous silence des versions plus récentes en « hybrid », mais c’est une oeuvre qui demande un engagement entier : dramatisme, émotion, musicalité… On ne peut pas seulement compter sur la beauté sonore. Et certains très grands chefs actuels, malgré de réelles affinités avec Mahler et leur immense talent, ont malheureusement complètement raté leur Chant de la Terre.

Il faut cependant citer une version d’une beauté sonore inimaginable, chez un éditeur peu connu, d’un chef peu connu, d’un orchestre peu connu (mais qui a travaillé des années durant avec le grand Mitropoulos), d’un contralto qui a beaucoup travaillé avec Tilsson-Thomas et d’un ténor qui rappelle sur bien des points Wunderlich et Kmentt : la version Eiji Oue, avec l’orchestre du Minnesota, Michelle DeYoung et John Villars. Ce n’est pas seulement une belle sonorité, c’est sans doute la plus belle version parue ces dernières années. Elle est déjà devenue mythique.