Michel-Ange a été célébré de son vivant comme un artiste au delà des normes, et il a été le premier ayant fait l’objet d’une biographie de son vivant. Nombre de ses lettres ont également été conservées. On donc beaucoup d’éléments sur la vie de Michel-Ange, sans doute plus que sur celle de tout autre artiste de son époque. Mais la confrontation de ces éléments conduits à des incohérences : erreurs dues à des défauts de mémoire ou mensonges délibérés, il s’agira, pour le siècle en cours, de séparer la vérité de la fiction.

Les Biographies

En 1550, du vivant, donc, de Michel-Ange, parut un ouvrage qui marqua l’histoire de l’art : les Vies des plus excellents peintres, sculpteurs et architectes, par Giorgio Vasari. Giorgio Vasari était lui-même peintre, sculpteur et architecte à la cour des Médicis, la famille qui gouvernait Florence. Il se proclamait ami intime de Michel-Ange. Son ouvrage fut le premier recueil de biographies d’artistes et constitue une référence extrêmement précieuse.

Parmi ces biographies, et bien que cet artiste fût encore vivant, on trouve celle de Michel-Ange lequel, loin d’être satisfait de l’image qu’elle donnait de lui – il y était décrit comme avare, fier et misanthrope – convainquit l’un de ses élèves de rédiger une biographie plus conforme à ses vœux. Cette biographie parut en 1553, sous le titre de Vie de Michel-Ange, d’Ascanio Condivi.

En 1568, soit 4 ans après la mort du maître (sans voir là une relation de cause à effet), parut la seconde édition des Vies des plus excellents peintres, sculpteurs et architectes par Giorgio Vasari. La biographie de Michel-Ange y est profondément modifiée et reprend nombre d’épisodes relatés par Condivi, tout en prenant parfois position contre certaines opinions de celui-ci. Vasari s’y présente comme un ami personnel de Michel-Ange.

Les lettres de Michel-Ange

PLus de 500 lettres de Michel-Ange à ses proches et à ses relations d’affaires ont été retrouvées. Sa grande célébrité, à la fin de sa vie, explique ce nombre élevé : ses frères et neveux, conscients de la valeur de ces écrits, comme celle de ses croquis préliminaires et des ses poèmes, les ont pieusement conservés.

Elles sont précieuses, bien entendu, pour combler les nombreux blancs de sa biographie et redresser nombre d’inexactitudes trouvées dans les biographies.

Elle tracent un portrait très vivant de l’artiste, précisent ce que fut son mode vie, son quotidien, à presque tous les stades de sa vie, un portrait fort différent des hagiographies de Condivi et de la seconde biographie de Vasari. Elles se rapprochent davantage de la première biographie de Vasari.

D’autres documents

Avec les ans, de nombreux documents d’origines très diverses se sont fait jour : des commandes oubliées de biographes, des lettres mentionnant Michel-Ange et ses proches, son contrat d’apprentissage dans l’atelier de Ghirlandaio…

Il n’a pas été, jusqu’ici, réalisé d’ouvrage regroupant les textes de ces documents, ce qui serait extrêmement précieux, mais ils ont enrichi, de décennie en décennie, les nombreuses biographies de cet artiste, dont notamment la dernière en date, le très sérieux ouvrage de Marta Alvarez González, malheureusement non encore traduit en français.

Les informations sont donc nombreuses et décrivent sans équivoque un homme touché par le génie. Toutefois, il nous est difficile de nous prononcer sur la véracité des faits et de leur déroulement. La première édition de Vasari était-elle réellement si loin de la vérité qu’il fallut en produire une autre ? Faut-il donner plus de poids aux protestations naïves, et parfois peu crédibles, de celle de Condivi ?

Mais la plus grande source de frustration est celle-ci : la plupart des textes sur Michel-Ange relèvent de l’hagiographie, même parmi les études les plus récentes. Michel-Ange y est décrit comme un génie inapprochable et irréprochable. Dans un monde où les hommes de valeur servent de divinités, mettre à jour leurs « fautes » relève de l’hérésie. Comme pour Shakespeare, l’homosexualité de Michel-Ange, un élément pourtant essentiel de son art, a été habilement dissimulée pendant plusieurs siècles, grâce à des fictions, comme la « passion » de Michel-Ange pour Vittoria Colona. Dieu merci, notre époque ne se soucie plus de fustiger de telles orientations sexuelles.

Mais notre grande frustration vient d’une dissimulation autrement plus grave. Alors qu’une comparaison même superficielle entre les lettres de Michel-Ange et ses biographies le démontre d’une manière claire (le récit de l' »affaire » du Cupidon endormi dans la Vie de Michel-Ange par Condivi, comparé aux toutes premières lettres de Michel-Ange à son père ; la comparaison entre les estimations du montant de la fortune que Michel-Ange laissa à ses héritiers, et les rétributions qu’il reçut tout au long de sa vie pour ses oeuvres officielles ; la faible production officielle de Michel-Ange dans la sa seconde moitié de sa vie, et le témoignage de sa constance au travail par Vasari…), Michel-Ange réalisa pour une riche clientèle de collectionneurs de fausses statues antiques. Il n’a certainement pas vendu ces oeuvres comme des faux lui-même, mais, par la volonté des acheteurs et avec son silence complice, elles sont entrées dans les collections comme des antiquités, et beaucoup sont encore aujourd’hui considérées comme des oeuvres de l’Antiquité. Que ce soit par appât du gain ou par crainte de la puissance de sa clientèle de « grands de ce monde », Michel-Ange fut un faussaire.

Certains supporteront mal que l’on « salisse » la mémoire d’un tel artiste, mais, d’une part, les circonstances et l’époque de ces actes leur ôte une grande part de leur malignité. D’autre part, et c’est ce qui importe davantage à la postérité, et probablement aux mannes de Michel-Ange, il s’agit maintenant de rendre à ce maître la paternité de ses oeuvres, et, parmi elles, la plus prestigieuse jamais sculptée, le Groupe de Laocoon, l’oeuvre qui fonda les bases de l’art baroque, et qui transforma même la notion d’art dans l’esprit des hommes de la Renaissance. Il ne faut pas chercher cette inspiration dans un ailleurs plus heureux, un Âge d’or, une Antiquité grecque de légende, qui n’a probablement jamais existé, mais dans le génie d’une homme de notre monde, le plus grand sculpteur que l’occident ait connu. Où se trouve, alors, le vrai respect à l’âme de cet artiste ?

Aucune biographie de Michel-Ange, même réalisée avec l’appui de masses de documents, ne pouvant donc être qualifiée de conforme à la réalité, celle que donnons ici est une tentative parmi d’autres.