L’Iliade et l’Odyssée dans la traduction de Jean-Baptiste Dugas-Montbel

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L’Odyssée : Chant 1Chant 2Chant 3Chant 4Chant 5Chant 6Chant 7Chant 8Chant 9Chant 10Chant 11Chant 12Chant 13Chant 14Chant 15Chant 16Chant 17Chant 18Chant 19Chant 20Chant 21Chant 22Chant 23Chant 24

La fabrication des armes.

Apollon, d'après un vase antique

Apollon, d’après un vase antique

Tandis qu’ils combattaient semblables à un feu dévorant, Antiloque, messager rapide, arrive auprès d’Achille ; il le trouve devant ses superbes navires : le héros cherchait dans sa pensée quels événements venaient de s’accomplir, et, gémissant, il disait en son cœur magnanime :

« Malheur à moi! pourquoi donc à travers la plaine les Grecs, effrayés, fuient-ils encore vers leurs vaisseaux ? Puissent les dieux ne pas accomplir les funestes malheurs qu’autrefois m’a prédits ma mère ! Elle me disait que moi vivant encore, le plus brave des Thessaliens, vaincu par des mains ennemies, perdrait la douce lumière du jour. Ah ! sans doute il est mort l’illustre fils de Ménétios. L’infortuné ! Hélas ! je lui recommandais, après avoir éteint les flammes, de revenir vers nos vaisseaux, et de ne point combattre Hector. »

Pendant qu’il agite ces pensées dans son âme, le fils de l’illustre Nestor s’approche, et, versant un torrent de larmes, il s’acquitte en ces mots du funeste message :

« Hélas ! fils du guerrier Pélée, tu vas entendre un malheur qui ne devait pas nous arriver : Patrocle n’est plus ; on combat autour de son cadavre dépouillé, car ses armes ont été ravies par le vaillant Hector. »

À ce discours, un sombre nuage de douleur enveloppe le héros ; de ses deux mains prenant une poussière brûlante, il la répand sur sa tête, et souille son beau visage : une cendre noire s’attache à sa riche tunique, son vaste corps est étendu dans la poudre, il arrache et flétrit sa chevelure. Les captives qu’Achille et Patrocle avaient prises, le cœur plein de tristesse, poussent de grands cris ; hors de la tente, elles courent auprès du belliqueux Achille ; toutes se frappent le sein, et chacune d’elles se sent défaillir. Non loin de là Antiloque se lamentait en versant des larmes, et tenait les mains d’Achille, dont la douleur déchirait le cœur intrépide, car il craignait que ce guerrier ne tranchât sa gorge avec le fer. Les gémissements d’Achille étaient formidables ; son auguste mère les entendit, dans les gouffres de la mer, où elle était assise au près de son vieux père ; et bientôt aussi elle se prit à gémir. Alors se rassemblent autour d’elle toutes les Néréides qui habitent le sein des mers, Glaucée, Thalie, Cymodocée, Nésée, Spéio, Thoé, Halie, aux regards majestueux, Cymothoé, Actée, et Limnorie ; arrivent ensuite Mélite, Jaïre, Amphithoé. Agave, Doto, Proto, Phéruse, et Dynamène ; Dexamène, Amphinome, Callianire, Doris, Panope, la célèbre Galatée, Némerte, Apseude, et Callianasse ; là étaient aussi Clymène, Ianire, lanasse, Maïra, Orithye, Amathée à la belle chevelure, et enfin toutes les Néréides qui habitent ces profonds abîmes : elles remplissent la grotte argentée, et toutes à la fois se frappent la poitrine. Thétis alors commence ainsi ses plaintes :

« Écoutez-moi, Néréides mes sœurs, afin qu’en m’entendant vous sachiez toutes quelles douleurs sont dans mon âme. Malheureuse que je suis ! mère infortunée d’un homme vaillant ! j’eus un fils puissant, irréprochable, illustre entre tous les héros ; il croissait, tel qu’une jeune plante, et je relevai comme le rejeton qui pousse dans un sol fertile. Je l’ai envoyé vers Ilion, sur ses noirs vaisseaux, pour combattre les Troyens ; mais il ne reviendra pas, je ne le recevrai plus dans les demeures de Pélée. Cependant, tandis qu’il vit encore, qu’il voit la lumière du soleil, il est accablé de tristesse, et je ne puis le secourir. Mais je veux aller voir ce fils chéri. J’apprendrai quelle peine l’afflige, depuis qu’il est loin de la guerre. »

À ces mots, Thétis abandonne sa grotte ; les Néréides la suivent en pleurant et les flots de la mer se séparent autour d’elles. Arrivées dans les plaines fertiles d’Ilion, elles se rangent successivement sur le rivage, où les nombreux vaisseaux des Thessaliens entourent celui d’Achille. Tandis qu’il soupirait, sa vénérable mère se place près de lui ; elle embrasse, en gémissant, la tête de son fils, et plaintive elle laisse échapper ces mots :

« Pourquoi pleurer, ô mon fils ? quelle douleur s’est emparée de ton âme ? Parle, ne me cache rien ; tout pour toi fut accompli par Zeus, lorsque autrefois tu le supplias, les mains élevées, de repousser vers leurs navires les enfants des Grecs, privés de ton secours, et de les accabler de maux. »

« O ma mère ! lui répond Achille en soupirant, oui sans doute le roi de l’Olympe a tout accompli pour moi ; mais de quel prix cela m’est-il, puisque mon ami fidèle à péri, Patrocle, que j’honorais le plus de tous mes compagnons, et à l’égal de ma propre tête ! Je l’ai perdu ; Hector après l’avoir immolé, l’a dépouillé de ses armes terribles, prodigieuses, riche présent que les dieux firent à Pélée, au jour où ils placèrent dans votre lit un homme pour époux. Ah ! plût au ciel que vous eussiez habité toujours avec les divinités des mers, et que Pélée eût pris une épouse mortelle ! Car maintenant une douleur profonde va remplir votre âme, par la mort de votre fils, que vous ne recevrez point à son retour dans les demeures paternelles. Non : mon désir n’est plus de vivre, de rester parmi les hommes, à moins qu’Hector, le premier de tous, frappé par ma lance, ne perde le jour et n’expie la mort du fils de Ménétios. »

« Oui, lui répond Thétis tout en pleurs, tu me seras bientôt ravi comme tu l’annonces, ô mon fils, car ton trépas suivra de près celui d’Hector. »

« Que je meure à l’instant ! s’écrie l’impétueux Achille, puisque je n’ai pu secourir mon compagnon immolé. Il est mort loin de son pays, et sans doute il m’a désiré pour lui être secourable en ce combat. Non, maintenant je ne retournerai plus aux champs aimés de la patrie, puisque je n’ai pu sauver Patrocle et les nombreux guerriers tombés sous les coups d’Hector. Inutile fardeau de la terre, je suis resté près de mes navires, quoique nul des Grecs valeureux ne m’égale dans les combats ; mais il en est de plus habiles dans les conseils. Ah ! périsse la discorde, et parmi les dieux et parmi les hommes ! périsse la colère, qui rend prompt à s’offenser même le plus sage ! Plus douce que le miel, elle s’élève comme une fumée dans le cœur des mortels : ainsi m’irrita le roi des hommes Agamemnon. Mais oublions le passé, malgré nos ressentiments, et par nécessité domptons la colère dans notre sein. Maintenant je revole aux combats, afin de rencontrer le meurtrier d’une tête si chère, le cruel Hector ; pour moi je recevrai mon sort lorsque voudront l’accomplir Zeus et tous les dieux immortels. Héraclès lui-même n’a pu fuir sa destinée, ce héros si chéri du puissant fils de Cronos : il périt vaincu par le destin et la colère de l’implacable Héra. Puisqu’un sort semblable m’est réservé, de même je serai enseveli après avoir reçu la mort. Cependant aujourd’hui, que je me couvre de gloire ; que je contraigne quelqu’une des belles Troyennes et des filles de Dardanos à essuyer de ses deux mains les larmes de ses joues et à pousser de fréquents soupirs ; qu’on reconnaisse que longtemps je m’éloignai des batailles. Ne me retenez plus, ô ma mère ; quel que soit votre amour, vous ne me persuaderiez pas. »

« J’approuve tes pensées, ô mon fils, reprend la déesse ; il est beau de repousser la mort loin de ses compagnons malheureux ; mais tes armes d’airain, belles, éclatantes, sont parmi les Troyens, le vaillant Hector en a couvert ses épaules ; il triomphe. Certes je ne pense pas qu’il ait longtemps à s’enorgueillir, car la mort s’approche de lui : toi, cependant, n’affronte point le danger des batailles avant que tu m’aies vue revenir en ces lieux. Demain, au lever du soleil, je reviendrai t’apporter une armure magnifique de la part du puissant Héphaïstos. »

Ayant ainsi parlé, Thétis s’éloigne de son fils, et, s’adressant aux Néréides ses sœurs :

« Plongez-vous, leur dit-elle, au sein de la mer profonde ; arrivées dans les palais de mon père, racontez-lui tout ; moi, je vais dans le vaste Olympe, auprès de l’ingénieux Héphaïstos, pour savoir s’il veut donner à mon fils des armes d’une éclatante beauté. »

Elle dit : toutes les Néréides se replongent dans les flots de la mer ; la déesse Thétis aux pieds d’argent se dirige vers l’Olympe, pour en apporter une brillante armure à son fils bien aimé.

Tandis qu’elle arrivait dans l’Olympe, les Grecs, pressés par Hector, s’enfuyaient à grands cris, et déjà touchaient à leurs navires sur les bords de l’Hellespont. Les vaillants Argiens ne peuvent entraîner hors des traits Patrocle, compagnon d’Achille ; il est atteint de nouveau par les coursiers, par les fantassins, et par le fils de Priam, Hector, semblable à la flamme dévorante. Trois fois ce héros saisit les pieds du cadavre, et, brûlant de l’entraîner, il excite les Troyens par ses cris ; trois fois les deux Ajax, revêtus d’une force indomptable, le repoussent loin de Patrocle. Hector pourtant, sans désemparer, se confiant en sa valeur, tantôt s’élance dans la mêlée, tantôt s’arrête en jetant de vives clameurs, mais ne recule jamais. Ainsi loin de la proie, les pasteurs dans les champs ne peuvent repousser un lion furieux que presse la faim ; de même les deux Ajax ne peuvent écarter Hector du corps de Patrocle. Sans doute il l’eût enlevé, sans doute il obtenait une immense gloire, si la rapide Iris, messagère aussi prompte que les vents, ne fût venue de l’Olympe vers le fils de Pélée pour l’engager à s’armer, à l’insu de Zeus et des autres dieux, car ce fut Héra qui l’envoya. Elle arrive auprès du guerrier, et lui dit ces mots :

« Debout, fils de Pélée, toi le plus formidable des hommes ; venge Patrocle, pour qui, devant les navires, se prolonge un combat terrible : les guerriers s’égorgent à l’envi, les uns pour protéger le cadavre, les autres avec le désir de l’entraîner dans les murs élevés d’Ilion ; mais surtout l’intrépide Hector brûle de l’enlever : tout son désir est de planter la tête sur un pieu, après l’avoir séparée du cou délicat. Lève-toi, plus de repos ; que la honte s’empare de ton cœur à la pensée de Patrocle devenu le jouet des chiens d’Ilion ; quel opprobre pour toi si ce corps venait à recevoir quelque outrage ! »

« Divine Iris, lui dit Achille, quel dieu t’envoie près de moi ? »

« C’est, lui répond Iris, Héra l’illustre épouse de Zeus qui m’envoie ; mais le puissant fils de Cronos l’ignore, ainsi que tous les autres dieux qui habitent l’Olympe couvert de neiges. »

« Eh ! comment irais-je au combat ? s’écrie le violent Achille : ils possèdent mes armes ; ma mère chérie ne me permet pas de combattre avant que je l’aie vue revenir ; elle a promis de m’apporter de la part d’Héphaïstos des armes superbes. Je ne sais aucune armure de quelque autre guerrier dont je puisse me couvrir, si ce n’est le bouclier d’Ajax, fils de Télamon ; mais lui-même, j’espère, est aux premiers rangs, et de sa lance il répand le carnage autour du corps de Patrocle. »

« Nous savons, reprend l’agile déesse, qu’ils possèdent tes armes ; mais seulement en t’avançant vers le fossé, parais devant les Troyens, et tous, épouvantés, ils s’enfuiront des batailles ; les vaillants fils des Grecs, accablés de fatigue, pourront enfin respirer ; la guerre a besoin de quelque relâche. »

À ces mots, Iris s’éloigne d’un pied rapide. Cependant Achille, chéri de Zeus, se lève ; sur ses épaules Athéna jette la redoutable égide ; et la puissante déesse entoure la tête du héros d’un nuage d’or, d’où elle fait jaillir une flamme brillante. Ainsi d’une ville située dans une île lointaine, et entourée d’ennemis, s’élève la fumée dans les airs. Durant tout le jour les assiégés soutiennent un rude combat hors des murs de leur ville ; mais sitôt que le soleil est couché des feux multipliés sont allumés, et leur éclatante lueur s’élève dans les airs, afin que, aperçue des peuples voisins, ils arrivent sur leurs navires pour repousser la guerre : ainsi brille la flamme sur la tête d’Achille. Il s’arrête sur les bords du fossé, hors des palissades ; mais il ne se mêle point aux autres Grecs, pour obéir au sage conseil de sa mère. Là, debout, il jette un grand cri ; d’un autre côté retentit aussi la voix de Pallas, et dans l’armée troyenne s’élève à l’instant un affreux tumulte. Comme retentit une voix éclatante lorsque sonne la trompette dans une ville entourée d’ennemis cruels, de même retentit la voix éclatante de l’Éacide. À cette voix d’airain tous les cœurs sont palpitants d’effroi. Déjà les coursiers à la flottante crinière s’en retournaient avec les chars, car ils prévoyaient le malheur. Les écuyers sont frappés de crainte à la vue de cette flamme infatigable, qui, terrible, brille sur la tête du fils de Pélée, et qu’alluma Athéna elle-même. Trois fois le divin Achille crie avec force sur les bords du fossé ; trois fois s’enfuient en désordre les Troyens et leurs braves alliés : douze guerriers périssent embarrassés dans leurs chars et leurs lances. Cependant les Grecs arrachent sans effort Patrocle du milieu des javelots, et le placent sur un lit funèbre ; ses compagnons l’entourent en gémissant. Achille, qui les suit, répand des larmes abondantes à la vue de son ami couché sur ce lit de mort et déchiré par l’airain cruel. Hélas ! il l’envoya avec son char dans les batailles, mais ne le reçut point au retour.

L’auguste Héra précipite dans l’impétueux Océan le Soleil infatigable, qui s’éloigne à regret ; il disparaît enfin, quand les nobles enfants des Grecs cessaient les combats cruels et la guerre funeste.

Les Troyens, de leur côté, abandonnant ce cruel champ de bataille, détachent des chars les agiles coursiers, et se réunissent pour le conseil avant de songer au repas du soir. Tous dans l’assemblée restent debout, aucun d’eux ne songe à s’asseoir ; tous sont saisis de crainte de ce qu’Achille a paru, lui qui depuis longtemps s’était abstenu de combattre. Le sage Polydamas, fils de Panthée, parla le premier ; seul il connaissait à la fois le passé et l’avenir. Compagnon d’Hector, ils étaient nés la même nuit. Polydamas l’emportait de beaucoup par ses discours, comme Hector par sa lance. Polydamas, plein de bienveillance pour les Troyens, se lève, et leur dit :

« Amis, délibérez avec prudence sur le parti qu’il faut prendre ; quant à moi, je vous exhorte à rentrer au sein de la ville, à ne point attendre le retour de l’aurore dans la plaine, devant les vaisseaux ennemis ; ici nous sommes trop éloignés des remparts. Tant que cet homme à gardé sa colère contre Agamemnon, les Grecs étaient plus faciles à combattre ; moi-même je me réjouissais en restant sur ce rivage, dans l’espoir que nous envahirions leur flotte ; mais maintenant je redoute grandement le fils de Pélée. Telle est son âme violente, qu’il ne voudra point rester dans la plaine, où jusqu’à ce jour les Troyens ont tour à tour éprouvé les fureurs d’Arès ; mais il combattra pour avoir notre ville et nos épouses. Rentrez donc dans l’intérieur ; croyez-moi, il en sera ainsi. La nuit retient maintenant l’impétueux Achille ; mais si demain, s’élançant avec ses armes, il nous retrouve sur ces bords, quelqu’un de nous connaîtra ce héros. Avec quelle joie seront atteints les murs sacrés de Troie par celui qui s’enfuira ! car les chiens et les vautours dévoreront la foule des Troyens. Puisse une telle nouvelle ne point frapper mon oreille ! Mais si, malgré vos regrets, vous cédez à mes avis, cette nuit dans l’assemblée nous raffermirons notre courage, tandis que les tours et les portes élevées, munies d’épaisses, de fortes, de solides barrières, protégeront la ville ; et demain au lever de l’aurore tous, avec nos armes, nous paraîtrons sur les remparts ; alors il éprouvera plus de peine, s’il veut, loin de ses navires, attaquer nos murailles. Il s’en retournera de nouveau vers sa flotte, après avoir épuisé la force de ses chevaux superbes en courses vaines autour de la ville : non, son courage ne le portera point à pénétrer dans la ville ; il ne pourra la détruire : auparavant les chiens cruels dévoreront son cadavre. »

Aussitôt le vaillant Hector, jetant sur lui des regards courroucés :

« Polydamas, dit-il, ce que tu dis ne saurait me plaire, toi, qui nous conseilles d’aller nous renfermer au sein de nos remparts. N’êtes-vous point encore las de rester entassés dans vos tours ? Tous les hommes jadis disaient que la ville de Priam était remplie d’or et d’airain ; aujourd’hui les meubles précieux de nos palais sont anéantis ; la plupart de nos richesses sont vendues dans la Phrygie et l’aimable Méonie, parce que le grand Zeus s’est irrité contre nous. Mais quand le fils du prudent Cronos veut maintenant me combler de gloire près des vaisseaux, et me permet de resserrer les Grecs vers la mer, insensé, ne publie pas de telles pensées parmi le peuple : aucun des Troyens ne t’obéira, je ne le souffrirai pas. Vous donc, à ce que je vais vous dire obéissez tous. Allez à présent prendre le repas du soir dans les rangs de l’armée ; songez à placer les gardes, et veillez avec soin. Quiconque parmi les Troyens redoute trop, pour ses richesses, qu’il les rassemble et les abandonne à nos troupes pour être consommées par elles : il vaut mieux les en laisser jouir que de les livrer aux Argiens ; et demain au lever de l’aurore tous avec nos armes nous porterons la guerre sur la flotte ennemie. S’il est vrai que le noble Achille ait reparu devant ses navires, et qu’il veuille combattre, plus grand sera son malheur. Non, loin de la guerre cruelle je ne l’éviterai plus, je l’attendrai de pied ferme : il remportera une grande victoire, ou je la remporterai. Arès est le dieu de tous, et souvent il immole celui-là même qui à tué. »

Ainsi parlait Hector. Les Troyens applaudissent avec joie. Insensés ! la divine Pallas les prive de la raison ; ils approuvent Hector, qui les conseille mal ; aucun n’applaudit à Polydamas, qui leur donnait un avis prudent ; ensuite, sans quitter leurs rangs, ils prennent le repas du soir. Cependant les Grecs, durant toute la nuit, gémissent et pleurent sur Patrocle ; Achille, au milieu de ses guerriers, laisse éclater ses regrets, et pose ses mains terribles sur la poitrine de son ami, en exhalant de profonds soupirs. Tel un lion superbe, privé de ses jeunes lionceaux, que le chasseur enleva d’une forêt profonde, se désole quand il retourne dans son antre ; il parcourt les nombreux vallons, cherchant de tous côtés s’il pourra trouver les traces du ravisseur, car il est saisi d’une violente colère : tel Achille, soupirant avec amertume, dit aux Thessaliens :

« Grands dieux ! je n’ai donc proféré qu’une parole inutile le jour où, dans sa demeure, je rassurais le guerrier Ménétios ; je lui disais qu’après avoir détruit Ilion, je lui ramènerais dans Opoéis son fils vaillant chargé de sa part du butin. Mais Zeus n’accomplit pas toutes les pensées des hommes, et le destin a résolu que tous les deux de notre sang nous rougirions la même terre sur le rivage troyen ; car ni le vieux guerrier Pélée, dans son palais, ni ma mère Thétis, ne verront point mon retour, mais c’est ici que m’engloutira la terre. Puisque je descends après toi dans la tombe, ô Patrocle, je ne célébrerai point tes funérailles avant de t’avoir apporté les armes et la tête d’Hector, ton superbe meurtrier. Je veux aussi devant ton bûcher égorger douze des plus beaux guerriers troyens, dans la fureur que me cause ton trépas. Jusqu’à cette heure repose ainsi près de mes navires. Les Troyennes, les filles de Dardanos, au sein arrondi, te pleureront et la nuit et le jour ; elles verseront des larmes, ces captives conquises par la force de nos lances, quand nous ravageâmes tous deux des villes opulentes et peuplées de héros. »

En achevant ces paroles, Achille ordonne à ses compagnons de placer sur le feu un grand vase à trois pieds, pour enlever le sang dont Patrocle est souillé. Ils apportent sur l’ardent foyer le vase des lustrations, y versent l’eau, et allument le bois qu’ils ont coupé : bientôt la flamme enveloppe les flancs du trépied ; l’onde s’échauffe, et quand elle a frémi dans l’airain sonore, ils lavent le cadavre, le frottent avec une huile onctueuse, et remplissent les plaies d’un baume qui a vieilli neuf ans ; ils placent ensuite Patrocle sur un lit, l’enveloppent depuis les pieds jusqu’à la tête d’un léger linceul, et le recouvrent encore d’un voile éclatant de blancheur. Tandis qu’autour du noble Achille les Thessaliens désolés pleurent toute la nuit le malheureux Patrocle, Zeus dit à Héra, sa sœur et son épouse :

« Vous avez accompli tous vos vœux, majestueuse Héra, en faisant reparaître le violent Achille. Ah ! sans doute, c’est de vous qu’ils ont reçu le jour ces Grecs valeureux. »

« Cruel fils de Cronos, lui répond l’auguste Héra, pourquoi me tenir ce langage ? Ainsi donc un homme, quoiqu’il soit mortel et qu’il ne puisse atteindre à nos vastes pensées, pourra se venger d’un autre homme ; et moi, la plus illustre des déesses, et par ma naissance et parce que je suis appelée ton épouse, de toi qui règnes sur tous les immortels, je ne pourrai, dans ma colère, méditer la ruine des Troyens ! »

Pendant que ces divinités s’entretenaient ensemble, Thétis, aux pieds d’argent, arrive dans le palais immortel et resplendissant d’Héphaïstos ; palais d’airain, superbe entre toutes les demeures célestes, et que cette divinité boiteuse construisit elle-même. Thétis trouve Héphaïstos empressé autour des soufflets de sa forge, haletant et baigné de sueur. Il fabriquait vingt trépieds destinés à orner les murs d’un palais magnifique ; de chaque côté de la base, il place des roues d’or, afin que d’eux-mêmes ils se rendent à l’assemblée des dieux, et d’eux-mêmes retournent dans leur demeure. Chose admirable à voir ! ils étaient presque entièrement achevés, mais ce dieu n’y avait pas encore adapté les anses habilement travaillées ; il les ajustait et en resserrait les liens. Tandis qu’avec une profonde intelligence, il se livre à de tels soins, arrive près de lui la déesse Thétis. C’est elle qu’aperçoit en s’approchant la belle et élégante Charis, épouse de l’illustre Héphaïstos ; aussitôt elle lui prend la main, la nomme, et lui dit ces mots :

« Pourquoi, Thétis, venir en nos demeures, ô déesse vénérable et chérie ? Autrefois vous ne les fréquentiez jamais : entrez cependant, afin que je vous offre les dons de l’hospitalité. »

C’est ainsi que parle la plus belle des Grâces ; puis elle introduit Thétis, et la fait asseoir sur un trône magnifique, orné de clous d’argent et travaillé avec art ; elle place une riche escabelle sous les pieds de la déesse, et, appelant son époux :

« Héphaïstos, dit-elle, accourez ; Thétis à besoin de vous. »

« Oui sans doute, répond aussitôt l’illustre Héphaïstos, c’est une divinité honorée et chérie qui visite ma demeure. Elle m’a sauvé lorsque j’éprouvai le malheur, ayant été précipité au loin par les conseils d’une mère barbare, qui voulut me cacher parce que j’étais boiteux. Alors j’aurais souffert de grands maux, si Eurynomé et Thétis ne m’avaient reçu dans leur sein ; Eurynomé, la fille de l’impétueux Océan. Près d’elles, durant neuf années, je forgeai mille ouvrages divers, des agrafes, des boucles recourbées, des anneaux et des colliers, dans une grotte profonde, autour de laquelle l’Océan furieux et mugissant roulait sans cesse ses flots écumeux. Nul parmi les dieux et les hommes ne sut ma retraite, mais seules Eurynomé et Thétis la connurent, elles qui m’avaient sauvé. Maintenant, puisqu’elle vient dans mes foyers, il est juste que je paye à la belle Thétis le prix de la vie que je lui dois. Hâtez-vous, apportez-lui les doux présents de l’hospitalité, tandis que je vais déposer mes soufflets et les instruments de mes travaux. »

Il dit, et l’immense dieu s’éloigne de l’enclume en boitant ; ses jambes grêles s’agitent sous son corps ; ensuite il place ses soufflets loin de la flamme, et dans un coffre d’argent rassemble tous les instruments qui servaient à ses travaux ; puis, avec une éponge, il essuie son front, ses mains, son cou vigoureux et sa poitrine velue : enfin il revêt une tunique, s’appuie sur un sceptre noueux, et sort en boitant. Des suivantes s’avancent avec leur roi : statues d’or, elles sont semblables à de jeunes filles vivantes ; elles possèdent l’intelligence, la force et la voix ; les dieux immortels leur apprirent le travail. Ce sont elles qui se hâtent en avant du monarque ; il marche avec peine, arrive auprès de Thétis, et s’assied sur un trône éclatant. Alors, lui prenant la main, il la nomme et lui dit ces mots :

« Pourquoi, Thétis, venir en nos demeures, ô déesse vénérable et chérie ? Autrefois vous ne les fréquentiez jamais. Dites-moi quelle est votre pensée ; tout mon désir est d’accomplir vos vœux, si je le puis, si leur accomplissement est possible. »

« O Héphaïstos ! répond Thétis en versant des larmes, de toutes les déesses habitant l’Olympe, aucune a-t-elle jamais supporté dans son âme tant de peines que moi, à qui Zeus envoie les plus amères de toutes les douleurs ? Seule, entre les divinités de la mer, je fus unie à un homme, Pélée, fils d’Éaque : j’ai partagé le lit d’un mortel, et certes je ne le désirais pas ; consumé par la triste vieillesse, il repose abattu dans son palais. Maintenant voici d’autres malheurs. Zeus m’accorda de donner le jour et d’élever un fils illustre parmi les plus grands héros ; il croissait tel qu’une jeune plante, et je relevai comme le rejeton qui pousse dans un sol fertile. Je l’ai envoyé vers Ilion, sur ses noirs vaisseaux, pour combattre les Troyens ; mais il ne reviendra pas, je ne le recevrai plus dans les demeures de Pélée. Cependant, tandis qu’il vit encore, qu’il voit la lumière du soleil, il est accablé de tristesse, et je ne puis le secourir. Les fils des Grecs lui choisissent pour sa récompense une jeune captive, le puissant Agamemnon l’arrache de ses mains ; lui, dans le chagrin qu’il éprouve, il se rongeait le cœur. Cependant les Troyens assiègent les Grecs autour des navires, et ne leur permettent plus de franchir les remparts ; bientôt les plus vénérables des Argiens viennent supplier Achille, et lui promettent de magnifiques présents ; alors il refuse d’écarter par lui-même les maux qui les menacent, mais il confie ses armes à Patrocle, et l’envoie dans les batailles à la tête d’une armée nombreuse. Tout le jour ils combattirent devant les portes Scées, et ce jour même ils renversaient Ilion si Apollon n’eût immolé le fils de Ménétios, qui aux premiers rangs semait le carnage, et n’eût accordé la victoire à Hector. Maintenant j’embrasse vos genoux pour que vous accordiez à mon fils, qui mourra bientôt, un bouclier, un casque, de beaux jambarts ornés de leurs agrafes, et une cuirasse ; car pour ses armes, son ami fidèle les à perdues, après avoir été dompté par les Troyens : maintenant Achille est couché sur la terre, et gémit en son âme. »

« Rassurez-vous, reprend aussitôt l’illustre Héphaïstos ; que ces pensées ne troublent plus votre cœur. Ah ! que ne puis-je le dérober à l’affreuse mort quand arrivera son heure fatale, comme il m’est aisé de lui donner une armure superbe, et telle qu’à sa vue tout homme sera frappé d’étonnement ! »

À ces mots, il quitte la déesse, court reprendre ses soufflets et les dirige vers le feu, et leur commande d’agir. Tous, à l’instant, poussent l’air dans vingt fourneaux, et de toutes parts ils exhalent un souffle facile, tantôt impétueux, tantôt ralenti, tel que le désire Héphaïstos et que l’exige le travail : il jette dans le brasier l’impénétrable airain, l’étain, l’argent, et l’or précieux ; il place ensuite sur un tronc l’énorme enclume ; d’une main il saisit un lourd marteau, et de l’autre ses tenailles.

Il fait d’abord un bouclier large et solide, qu’il embellit de toutes parts d’ornements divers, l’environne d’un triple rayon éclatant de blancheur, auquel est suspendu le baudrier d’argent ; cinq lames épaisses forment ce bouclier ; sur la surface, Héphaïstos, avec une divine intelligence, trace mille tableaux variés. Il y représente la terre, les cieux, la mer, le soleil infatigable, la lune dans son plein, et tous les astres dont se couronne le ciel : les Pléiades, les Hyades, le brillant Orion, l’Ourse, qu’on appelle aussi le Chariot, qui tourne toujours aux mêmes lieux et regarde l’Orion : c’est la seule constellation qui ne se plonge point dans les flots de l’Océan.

Il y représente aussi deux belles villes remplies d’habitants : dans l’une on célèbre des fêtes nuptiales et des festins splendides ; on conduit hors de leurs demeures les épouses par la ville, à la clarté des flambeaux : tout retentit des chants d’hyménée ; les jeunes gens forment en rond les chœurs des danses ; au milieu d’eux les flûtes et les lyres font entendre leurs voix, et les femmes, debout devant leurs portiques, admirent ces fêtes. Près de là, le peuple est assemblé dans une place publique où s’élèvent de vifs débats : deux hommes se disputent pour la rançon d’un meurtre ; l’un prétend qu’il a payé toute la somme, et l’affirme au peuple ; l’autre nie avoir rien reçu. Tous deux ont recours au juge pour terminer leur procès. Les citoyens élèvent la voix de deux côtés, pour soutenir l’un ou l’autre plaideur, et les hérauts maintiennent le peuple. Les vieillards, assis sur des pierres polies dans une vaste enceinte, tenaient en leurs mains le sceptre des hérauts à la voix retentissante. Armés de ce sceptre, ils se levaient pour juger tour à tour. Au milieu de l’assemblée étaient placés deux talents d’or pour donner à celui qui parmi eux jugerait avec le plus d’équité.

Sous les remparts de l’autre ville campent deux armées resplendissantes d’airain : réunies dans le conseil, elles agitent deux avis différents : les uns veulent livrer au pillage cette cité charmante, et les autres diviser également les trésors qu’elle renferme. Les assiégés ne cèdent pas, et préparent de secrètes embûches ; les épouses chéries, les jeunes enfants, debout sur les remparts, gardent les murs avec les hommes que retient la vieillesse, et les autres guerriers sortent de la ville. À leur tête, on voit Arès et la fière Pallas, d’or tous les deux, et revêtus de tuniques d’or, grands, superbes, avec leurs armes, comme il convient à des divinités ; tous les deux également remarquables. Les autres guerriers sont d’une taille bien moins élevée. Ils avivent enfin dans un lieu propice à l’embuscade, sur les bords d’un fleuve où les troupeaux venaient se désaltérer : c’est là qu’ils se placent, couverts de l’airain étincelant ; loin d’eux ils placent deux sentinelles, pour épier l’instant où paraîtront les brebis et les bœufs aux cornes recourbées. Bientôt les troupeaux arrivent, suivis par deux bergers, qui, ne soupçonnant aucune embûche, s’égayaient au son de leurs flûtes champêtres. À cette vue, les guerriers se précipitent, égorgent les bœufs, les riches troupeaux de blanches brebis ; ils immolent même les pasteurs. Cependant, les ennemis, assis dans l’assemblée, entendent le tumulte qui s’élève autour de leurs troupeaux ; soudain, montant sur leurs chars, ils s’élancent et arrivent en un instant. On combat avec fureur sur les rives du fleuve, et les guerriers de part et d’autre se frappent de leurs lances d’airain. Parmi eux s’agitent la Discorde et le Tumulte ; l’impitoyable Destinée tantôt saisit un héros blessé, qui respire encore, ou celui que le fer n’a pas tant atteint, tantôt tire par les pieds un cadavre à travers les batailles ; la robe qui couvre ses épaules est souillée du sang des mortels : ils se heurtent, ils combattent, comme des hommes vivants, et de chaque côté ils entraînent les corps des soldats immolés.

Ici Héphaïstos trace une fertile plaine, terrain gras et vaste, travaillé trois fois ; de nombreux laboureurs, en faisant retourner leur attelage, vont et reviennent sans cesse. Lorsqu’à leur retour ils atteignent l’extrémité du champ, un homme met entre leurs mains une coupe pleine d’un vin délicieux ; ils retournent ensuite à leurs sillons, impatients d’arriver au bout de la vaste plaine. Quoiqu’elle soit d’or, la terre se noircit derrière eux, comme en un champ nouvellement labouré ; tant ce travail était admirable.

Héphaïstos grave aussi une enceinte où se trouve une riche moisson ; là, moissonnent des ouvriers tenant en mains des faucilles tranchantes ; le long des sillons, les javelles nombreuses tombent sur la terre : on resserre les gerbes dans des liens, et trois moissonneurs les réunissent en monceaux. Derrière eux les enfants sans cesse leur présentent ces gerbes qu’ils apportent dans leurs bras. Le maître, au milieu des moissonneurs, tient son sceptre en silence, et, debout, à la vue de ses guérets, goûte une douce joie dans son cœur. Les hérauts, à l’écart, dressent le festin sous l’ombre d’un chêne ; ils s’empressent autour d’un bœuf énorme qu’on vient d’immoler ; et les femmes préparent avec abondance la blanche farine pour le repas des moissonneurs.

Il représente ensuite une belle vigne d’or surchargée de raisins, les grappes sont noires ; partout elle est soutenue par des pieux d’argent. Il trace alentour un fossé d’acier et une haie d’étain ; dans cette vigne il n’est qu’un seul sentier où passent les ouvriers, lorsqu’ils travaillent aux vendanges. Les jeunes gens et les vierges, animés d’une joie tendre, portent dans des corbeilles de jonc tressé le fruit délectable. Au milieu d’eux est un enfant qui joue avec charme d’une lyre mélodieuse, et le son de la corde retentit d’une douce voix ; les travailleurs tous ensemble, de leurs pieds frappant la terre, l’accompagnent de leurs chants et de leurs cris, et le suivent en dansant.

Là, il fait encore un troupeau de génisses au front superbe ; ces génisses sont formées d’or et d’étain ; elles sortent en mugissant de l’étable, et se rendent aux pâturages près d’un fleuve retentissant, dont le rapide cours est bordé de roseaux ; quatre bergers d’or les conduisent, et sont suivis par neuf chiens aux pieds agiles. Deux lions furieux saisissent, au milieu des premières génisses, un taureau mugissant, et l’animal, poussa d’affreux beuglements, est entraîné. Les chiens et les pasteurs volent à son secours ; mais les lions, après avoir déchiré la peau de cet immense taureau, se repaissent de son sang et de ses entrailles ; les bergers les poursuivent vainement, en excitant leurs chiens rapides : ceux-ci redoutent de mordre des lions ; ils aboient auprès d’eux et les évitent.

Dans un vallon délicieux l’illustre Héphaïstos représente un immense pâturage de blanches brebis ; là sont aussi des étables, des parcs et leurs cabanes recouvertes.

Sur ce bouclier, l’illustre Héphaïstos grave encore une danse semblable à celle que, dans la fertile Gnosse, inventa Dédale pour Ariane à la belle chevelure. Là de jeunes hommes et des vierges charmantes forment des danses en se tenant par la main ; celles-ci sont couvertes de voiles légers, ceux-là de tuniques élégantes, qui brillent d’un doux éclat. Les jeunes filles ont de belles couronnes ; les hommes portent des glaives d’or suspendus à un baudrier d’argent. Tantôt, d’un pied docile, ils tournent en rond aussi vite que la roue, lorsque le potier laborieux essaye si elle vole aisément pour seconder l’adresse de ses mains ; tantôt ils rompent le cercle, et dansent par lignes les uns devant les autres. La foule qui les entoure admire ces chœurs pleins de charmes ; parmi eux un chantre divin fait entendre sa voix en s’accompagnant de la lyre ; là paraissent aussi deux sauteurs habiles, qui conduisent les danses en chantant, et tournent au milieu de l’assemblée.

Enfin il figure l’immense Océan tout autour de ce bouclier merveilleux.

Quand il a terminé ce grand et solide bouclier, il fait une cuirasse d’un éclat plus brillant que la flamme ; il forge aussi le casque solide pour couvrir le front du héros, travail admirable, poli avec soin, et surmonté d’une aigrette d’or ; enfin, il achève les riches jambarts formés d’un étain flexible. À peine l’ouvrier illustre a-t-il fini cette armure, qu’il se hâte de la présenter à la mère d’Achille. Soudain la déesse, semblable à l’épervier, s’élance de l’Olympe couvert de neiges, et emporte ces armes, présent superbe d’Héphaïstos.

Fin du chant 18 de l’Iliade

(Traduction de Jean-Baptiste Dugas-Montbel, 1828 –
Corrections Kulturica : re-hellénistation des noms propres)