La cosmogonie « orthodoxe » d’Hésiode

Océanos et Téthys

Océanos, le fleuve qui entoure la Terre, et Téthys, peut-être une réminiscence de l’antique Pangée…

La plus célèbre cosmogonie grecque nous vient d’Hésiode, ce poète du 8e siècle avant J.-C. (en quelque sorte, le "second" poète grec dans l’ordre chronologique, après Homère, selon la plupart des sources), qui décrivit avec force détails et précisions philosophiques la création de l’univers. Il le fit dans son long poème nommé Théogonie, dans lequel il nous donne également le nom et la généalogie de toutes les créatures immortelles, dieux et autres entités "non-humaines".

Ce n’est pas la seule cosmogonie grecque que l’on connaisse : Homère, donc avant Hésiode, nous parle d’"Océanos, origine des dieux, et leur mère Téthys", ce qui est en contradiction avec la "théorie" d’Hésiode qui fait d’Océan et de Téthys les enfants de Gaïa, la terre, et du ciel, Ouranos. Mais on ne trouve pas, dans les textes d’Homère, plus de précision sur les légendes des origines.

Il y a aussi cette très mystérieuse légende d’Ophion et Eurynomé, qui apparaît soudain au 3e sècle avant J.-C., mais qui pourrait très bien s’insérer dans les récits hésiodiques.

Phérécyde, qui fut l’un des maîtres de Pythagore, a également composé une cosmogonie. Si l’ouvre originale a été perdue, on peut toutefois en reconstituer le récit grâce aux nombreuses citations et notes trouvées dans d’autres textes.

Enfin, Hygin, ou le « pseudo-Hygin », a laissé une très compacte cosmogonie, elle constitue la préface de ses fables.

La cosmogonie que nous rapportons ici, bien qu’ancienne, tirée des textes d’Hésiode et rapportée également, près de 1000 ans plus tard, par Apollodore (à quelques détails près) est passionnante, car elle est le reflet de l’esprit grec : comme tous les autres peuples, les Grecs ont cherché à répondre aux questions essentielles de l’humanité, de ses origines et de celles du cosmos, de l’univers qui l’entoure. Mais, comme aucun autre peuple, les Grecs ont apporté des réponses « logiques », satisfaisantes également pour leur côté romanesque que pour l’intelligence des réponses.

Du Chaos au règne d’Ouranos et de Gaïa

Au commencement, il y eut le Chaos, intermédiaire entre le néant et l’être, contenant en germe tout ce qui existe, visible ou invisible. Il n’y eut pas de dieu créateur : tout ce qui existe tira sa substance du Chaos.

Selon Hésiode, du Chaos inimaginable et invivable surgit Gaïa, la Terre-mère, mère de tous les vivants, puis Eros, sans qui aucun lien d’amour n’aurait pu avoir lieu et aucun autre être n’aurait pu voir le jour. Puis naquirent Erèbe, la ténèbre, Nyx, la nuit, puis Héméré, le jour, et Ether, la clarté qui envahit l’espace.

Ouréa, les hautes montagnes

Puis Gaïa enfanta les hautes montagnes, Ourea, qui devinrent les demeures des nymphes, et les ravins qui les parcouraient devinrent les demeures des fleuves.

Puis Gaïa engendra Pontos, le flot marin, la mer salée, étendue stérile et dangereuse, que les hommes ne purent jamais conquérir comme ils l’avaient fait de la terre.

Et l’espace qui s’étendait au dessus de Gaïa fut nommé Ouranos, le ciel, gouverné par l’alternance du jour et de la nuit, et l’espace qui s’étendait en dessous de Gaïa fut nommé Tartare, où régnait l’Erèbe, les ténèbres infernales.

Tandis qu’Ouranos regarda Gaïa avec amour, il déversa sur elle une pluie fécondante. Cette pluie devint Océanos, le grand fleuve d’eau douce et pure qui entoure la terre, et sa soeur, Téthys, surgit d’entre les eaux et devint la vaste Terre émergée. Ce furent les premiers enfants d’Ouranos et de Gaïa. Océanos et Téthys eurent à leur tour une nombreuse progéniture : 3000 Océanides, divinités de l’eau, et 3000 Fleuves.

Mais l’amour qu’Ouranos éprouvait pour Gaïa se transforma bientôt en haine, pour elle et pour ses enfants : Gaïa enfanta les Géants aux 100 bras et les 3 Cyclopes. Peut-être qu’Ouranos les crut non ses propres fils, mais ceux du sombre Tartare, tant ils étaient laids et effrayants, ou peut-être savait-il déjà que, de sa postérité, surgirait celui qui allait le détrôner.

Briarée ou Aegaeon, Gygès et Cottos, les trois géants fils de Gaïa, avaient 100 bras et 50 têtes. On les nommait les Hécatonchires, ce qui signifie "100 mains".

Les cyclopes, qui n’avaient chacun qu’un seul oeil, s’appelaient Brontès, Stéropès et Argès, autrement dit le Tonnerre, l’Eclair et la Fourde.

Ouranos s’unit encore et encore à Gaïa, mais sans l’amour qui l’avait envahi lorsqu’il la découvrit, entre ses bras, pour la première fois, et c’est dans la violence que Gaïa conçut les terribles Titans. Mais Ouranos ne les laissa jamais venir au monde, et ils furent relégués dans le Tartare, les entrailles de la terre, avec leurs frères les Géants et les Cyclopes.

Et c’est dans la souffrance et la haine que Gaïa conçut un plan qui allait perdre Ouranos et mener son fils Cronos au pouvoir…

La prise de pouvoir par Cronos

Le colosse, par Goya

Le colosse, par Goya.

Ouranos s’unissait à Gaïa, et Gaïa concevait des enfants, mais leur père, jamais, ne les laissait venir au jour. Et Gaïa souffrait, souffrait dans sa chair, et souffrait dans son coeur pour ses enfants prisonniers.

Alors elle conçut un plan : elle tailla une faucille de pierre et alla voir ses enfants. À chacun, l’un après l’autre, elle tendit la faucille. Et chacun d’eux put lire dans ses yeux que celui qui se saisirait de la faucille prendrait à sa charge un terrible dessein. Et personne n’osait regarder en face les yeux de Gaïa, ni sa faucille.

Cronos, le plus jeune et le plus rusé des Titans, n’était pas comme ses frères. Il détestait son sort, aspirait à la lumière et au pouvoir de gouverner sa propre vie. Pour cela, il était prêt à tout, et même au plus terrible.

Ce fut lui qui prit des mains de sa mère la terrible faucille et, à voix basse, en chuchotant, elle lui apprit le plan qu’elle avait en tête.

Et lorsqu’Ouranos vint vers Gaïa pour s’unir à elle, Cronos, du fond du Tartare, les entrailles de la terre, saisit le sexe de son père et le trancha de la faucille. Alors, les Titans et leurs frères géants et cyclopes furent libérés et sortirent du Tartare vers la lumière.

Cronos lança au loin le sexe de son père, qui tomba dans la mer près du cap Drepanon, au large de la Sicile, et c’est là que la belle Aphrodite, déesse de l’amour, naquit de la semence d’Ouranos-le-ciel. Mais du sang d’Ouranos retomba sur la terre, et de ce sang naquirent les Erynnies, les divinités vengeresse qui poursuivent ceux qui tuent leur père et ceux qui rompent leurs serments. Elles se nomment Alecto, Tisiphoné et Mégère, ce dernier nom sert encore aujourd’hui de qualificatif aux femmes dures et acariâtres.

Cronos prit pour épouse sa soeur Rhéa et gouverna le Cosmos à la place de son père, avec l’accord de tous les fils de Gaïa. Mais il n’eut pas plus tôt pris le pouvoir qu’il relégua à nouveau au Tartare les puissants géants et les trois cyclopes maîtres de la foudre.

Gaïa et Ouranos, immortel mais blessé d’une blessure qui le mettait à l’agonie, possédaient toujours le pouvoir de dire les oracles, et ils prévinrent les Titans que, de Cronos, viendrait un fils qui serait plus puissant que lui et qui prendrait sa place.

Alors, jaloux de son pouvoir sur le monde et de sa position parmi ses frères, il dévorait chacun de ses enfants dès que Rhéa les mettait au monde.

Les enfants de Cronos

Après avoir pris le pouvoir sur son père Ouranos, Cronos régna sur le monde, avec sa soeur-compagne Rhéa. Et l’on voit ici comment Cronos tenta de s’assurer un pouvoir éternel.

Cronos dévorant ses enfants, par Goya

Cronos dévorant ses enfants, par Goya

En ces temps-là, Cronos, avec son épouse Rhéa, régnait sur le monde et, afin de conserver son pouvoir, il avait décidé de n’avoir aucune descendance.

Donc, chaque année, lorsque Rhéa mettait au monde un enfant, Cronos s’en saisaissait, l’arrachant au giron de sa mère, et le dévorait.

Rhéa mit au monde, la première, Hestia, Hestia qui deviendra la déesse du foyer. Jamais elle ne prit part au moindre combat et, de toutes les créatures immortelles, elle fut la première à demeurer toujours vierge. Mais, celle-là, la première, Cronos la dévora.

Puis Rhéa enfanta Démeter, que les latin nomment Céres, et qui deviendra la déesse de la terre nourricière, la déesse des moissons et des granges remplies de grains. Celle-la, la seconde, Cronos la dévora.

Ce fut Héra de Rhéa enfant ensuite, Héra qui deviendra la déesse des déesses, épouse du grand Zeus. Elle l’enfanta dans l’île de Samos, et celle-là, la troisième, Cronos la dévora.

Puis ce fut un fils qu’enfanta Rhéa, Hadès, qui deviendra le terrible dieu des Enfers. Celui-là, le premier fils, Cronos le dévora.

Le second fils qu’enfanta Rhéa était Poséidon, auquel échoira le règne de la mer, celui que l’on nommera l’ébranleur de la terre. Celui-là, le second fils, certains disent que Cronos le dévora. Mais les Arcadiens disaient que Rhéa plaça son fils Poséidon au milieu des agneaux, et qu’elle donna un poulain au lieu de son fils à Cronos, qui le dévora.

Puis Rhéa enfanta son sixième enfant et troisième fils, Zeus