Détail de Vénus et Adonis, par Rubens

Vénus et Adonis, par Rubens (détail).

Adonis fut le plus célèbre amant d’Aphrodite et sa mort tragique laissa la déesse longtemps inconsolable. Mais, derrière cette façade poétique se cache un mythe complexe, fait d’inceste, de jalousie et de meurtre.

Adonis d’après Ovide

C’est Ovide, le poète latin des 1er et 2e siècles après J.C., qui, dans ses Métamorphoses, nous a laissé le texte le plus poétique et le plus célebre sur la naissance, les amours et la fin tragique d’Adonis.

Myrrha, la fille du roi Cyniras, nourissait une passion incestueuse pour son père. Desespérée, elle finit par se confier à sa nourrice. Celle-ci, qui craignait que la jeune fille ne mette fin à ses jours, ennivra le roi et Myrrha passa ainsi plusieurs nuits avec lui.

Lorsque le roi comprit que son amante inconnue était sa propre fille, il saisit son épée et la poursuivit jusqu’en Arabie où elle s’était réfugiée. Mais la jeune fille se transforma en myrrhe, l’arbre à la sève parfumée et les larmes de Myrrha, en encens. Un enfant commença à grandir sous le tronc de l’arbre et, lorsque le terme fut arrivé, Aphrodite sépara l’arbre en deux et un garçon d’une grande beauté sortit d’entre les morceaux du tronc. Il fut appelé Adonis.

Lorsqu’il grandit, la déesse se prit de passion pour lui et tenta vainement de l’éloigner de son goût pour la chasse. Mais un jour, alors que la déesse était en route pour Chypre sur son char attelé de cygnes, Adonis blessa de ses flèches un sanglier qui se retourna contre le chasseur et le tua. Aphrodite, qui avait entendu les plaintes de son amant et avait fait faire demi-tour à son attelage, vit expirer Adonis, baignant dans son sang. Elle fit en sorte que sa mort soit célebrée chaque année lors de fêtes solennelles. Du sang d’Adonis poussèrent des fleurs nouvelles qui prirent son nom.

Adonis d’après la Bibliothèque d’Apollodore

Mais la Bibliothèque d’Apollodore (voir notre page sur les sources de la mythologie grecque), qui appartenait au monde grec (alors qu’Ovide était un poète de langue latine) nous donne une toute autre version du mythe de la naissance d’Adonis.

La Bibliothèque nous donne plusieurs origines possibles pour Adonis :

– il serait le fils de Cyniras (sans allusion à quelque amour coupable que ce soit), lui-même descendant du dieu Hermès par Céphale,

– il serait le fils de Phénix (l’auteur de la Bibliothèque cite comme source Hésiode),

– ou bien celui de Thyas, roi d’Assyrie, et de sa fille Smyrna (dont le nom, comme Myrrha, signifie "myrrhe", l’arbre qui donne l’encens). Voici ce qu’écrit le pseudo-Apollodore :

« Aphrodite, en colère contre Smyrna qui ne lui rendait pas les honneurs dus, fit en sorte qu’elle tombe amoureuse de son père ; avec l’aide de sa servante, la jeune fille dormit pendant douze nuits avec son père, sans que ce dernier la reconnût. Mais quand il se rendit compte que c’était sa fille, il sortit son épée et la poursuivit ; poussée dans ses derniers retranchements, elle pria les dieux qu’ils la rendent invisible. Les dieux prirent Smyrna en pitié et la métamorphosèrent en cette plante que l’on appelle justement "smyrna" ou "myrrhe". Neuf mois plus tard, la plante s’ouvrit et un enfant naquit, appelé Adonis ; il était si beau qu’Aphrodite, à l’insu des dieux, le plaça tout bébé dans une corbeille et le confia à Perséphone pour qu’elle le cache. Mais Perséphone, quand elle le vit, ne voulut plus le rendre à Aphrodite. Aussi, sur décision de Zeus, l’année fut divisée en trois ; il ordonna qu’Adonis reste seul un tiers de l’année, avec Perséphone un autre tiers, et avec Aphrodite le dernier tiers. Mais Adonis resta avec elle aussi durant cette partie de l’année où il aurait dû rester seul. Ensuite, lors d’une partie de chasse, il fut blessé par un sanglier et mourut. » (Pseudo-Apollodore, Bibliothèque, 3. 14. 4, trad. Ugo Bratelli).

La Bibliothèque nous précise également qu’Adonis, alors qu’il était encore un enfant, s’attira la colère d’Artémis, qu’il fut blessé par un sanglier au cours d’une partie de chasse et qu’il en mourut.

Adonis d’après les Hymnes orphiques

Un Hymne Orphique est dédié à Adonis :

(Rappelons que les Hymnes Orphiques sont des textes liés aux cultes et aux mystères orphiques. Selon la légende, ils auraient été composés par le poète "divinisé" Orphée. Ils auraient été, soit compilés, soit même rédigés à des dates que les spécialistes ont du mal à préciser : entre le 3e siècle avant J.C. et le 2e siècle après J.C.)

« Écoute-moi, illustre Adonis, que j’invoque sous différents noms, dieu à la belle chevelure, qui te plais dans la solitude et qui brilles par les grâces les plus délicates, conseiller bienveillant, dieu aux formes variées, noble aliment de toutes choses, jeune vierge et jeune homme tout à la fois, Adonis toujours florissant, toi qui as succombé et qui renais au retour des saisons annuelles, dieu toujours jeune et aimable, toi qu’on adore en versant des larmes, dieu charmant qui aimes la chasse, dieu à la magnifique chevelure, cœur bien-aimé de Cypris [Aphrodite], germe d’amour, toi qu’enfanta la divine Proserpine aux beaux cheveux, toi qui habites maintenant dans les profondeurs du Tartare, reviens de nouveau dans l’Olympe et accorde à tes prêtres les fruits délicieux de la terre. »

Adonis dans le Myrobiblon

Mais c’est dans le Myrobiblon (voir notre page sur les sources de la mythologie grecque) que l’on trouve les détails les plus étranges sur Adonis. Les fragments cités sont attribués à un grammairien d’Alexandrie, Ptolémée Chennus.

Selon lui, Adonis fut aimé à la fois par Aphrodite, par Héraclès et par Apollon. Pour cela, Adonis devint hermaphrodite et se comportait comme un homme avec Aphrodite et comme une femme avec Apollon. Et c’est Apollon, irrité contre Adonis, qui, sous forme d’un sanglier sauvage, tua le jeune homme.

Il est dit aussi qu’il existe un rocher, sur l’île de Leucade en Ionie (ouest de la Grèce), duquel il suffit de se jeter dans la mer pour se guérir du mal d’amour. Zeus l’a consacré lorsqu’il voulut se défaire de sa passion pour Héra, et c’est là qu’Aphrodite se guérit également de son amour pour Adonis.

Encore quelques détails

Selon un autre auteur tardif, Nonnos de Panopolis (poète grec né en Egypte et actif au 5e siècle après J.C.), Adonis a été tué par Arès, amant d’Aphrodite, déguisé en sanglier. Cette version du mythe est attestée par une nombreuse iconographie.

Enfin, d’après Pausanias, la ville d’Amathonte à Chypre avait un temple dédié à Aphrodite et à Adonis. On dit qu’il abritait un collier fabriqué par le dieu Héphaïstos et qui fut offert à Harmonie, fille d’Arès et d’Aphrodite.

Quelques remarques

La légende d’Adonis est ancienne, et revêt plusieurs formes. Comme Aphrodite, Adonis vient du Proche ou du Moyen-Orient (son nom est d’origine clairement sémitique et signifie "seigneur") où, jusque dans l’Antiquité tardive, un culte lui était rendu.

Plusieurs divinités d’importance sont associées à cette légende : Aphrodite, d’adord, mais aussi, d’une manière qui a été quelque peu gommée par les auteurs tardifs, Artémis (par l’amour de la chasse qu’a le héros), Apollon (en tant qu’amant d’Adonis), Arès (en tant qu’amant jaloux d’Aphrodite), Héraclès (en tant qu’amant d’Adonis) et même Perséphoné (ou proserpine), épouse du dieu des enfers Hadès et qui serait la mère d’Adonis selon un hymne orphique.

Une constante, dans cette légende, est le sanglier, qu’il fût lancé par l’un quelconque des dieux cités : cette partie du mythe rappelle l’histoire d’Ulysse, blessé à la cuisse par un sanglier et dont la cicatrice le fait reconnaître par la nourrice Euryclée. Mais Ulysse, lui, survécut à sa blessure. Robert Graves propose une intéressante interprétation : cette blessure (ou mise à mort) par un sanglier sauvage (ou guidé par un dieu) était liée aux cultes matriarcaux où le roi (ou amant de la reine-prêtresse) était mis à mort, peut-être chaque année (lien avec un culte solaire, Apollon étant un dieu solaire).

Nous avons cité Nonnos de Panopolis : celui-ci nous conte, dans ses Dionysiaques, l’histoire de la fille d’Aphrodite et d’Adonis, Béroé, qui fut aimée à la fois de Dionysos et de Poséidon. On peut lire ses aventures dans les chants quarante-et-un, quarante-deux et quarante-trois des Dionysiaques, sur le site de Philippe Remacle.