HistoriquePrésentation de l’œuvreDiscographie sélective

Aussi bien parce qu’il a longtemps été un opéra mal aimé que parce qu’il s’agit d’un opera seria plus "kasher" qu’Idomeneo, La Clemenza di Tito a dû attendre sa redécouverte par le mouvement baroque pour être mieux compris et mieux apprécié, les versions traditionnelles réalisées auparavant ayant laissé beaucoup de questions interprétatives ouvertes. Pourtant, loin de reléguer les versions traditionnelles aux oubliettes, nous sommes davantage en mesure de les apprécier aujourd’hui, et aucune version historiquement informée ne pourra nous faire oublier certaines coups de génie du passé. Mais, entre des Vitellia aux accents véristes ou plus proches des Fiordiligi, des émotions exprimées ou retenues, le vibrato des voix italiennes (et ce sont des voix italiennes qui ont créé l’oeuvre) ou les voix lisses du mouvement baroque, les différences entre les versions "historiquement informées" sont telles que l’on n’est guère plus avancé sur ce qu’était autrefois un opera seria. Cependant, pour ceux qui se sont cantonnés à ses opéras les plus célèbres, la découverte d’un "nouvel" opéra de Mozart est un bonheur.

L’idéal, pour découvrir cette œuvre au disque, est d’écouter, les premières fois, uniquement l’ouverture et les parties chantées. Ensuite, à l’écoute de l’opéra complet, les récitatifs prendront leur sens à la fois musical et dramatique.

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Versions traditionnelles

Parmi les versions traditionnelles, l’une se détache nettement par sa qualité, sa musicalité, et un sens du drame qui, s’il ne correspond par réellement à l’optique de l’opera seria, reste totalement mozartien. Il s’agit de la version de Kertész de 1967, publiée chez Decca. Ce chef, disparu en 1973 à l’âge de 44 ans, n’a pas eu le temps d’établir sa réputation en tant que mozartien d’exception. L’orchestre n’est rien moins que la Philharmonie de Vienne, et le plateau est splendide :
– le rôlé de Vitellia est tenu par l’une de ces grandes voix italiennes qui sont restées presques inconnues dans le reste du monde musical (comme Anita Cerquetti, Caterina Mancini, Maria Vitale, Lucia Aliberti…), Maria Casula, une digne représentante de la grande école de chant italienne disposant d’une voix très étendue couvrant les tessitures de soprano et de mezzo. Elle campe une Vitellia très dramatique, à la voix riche et stylée, homogène sur toute l’étendue du rôle (la seule à ne pas poitriner ouvertement dans les notes les plus graves), soulignant avec talent l’évolution du personnage;
– très impressionnante également dans sa vérité dramatique est Teresa Berganza, l’un des grands mezzos du siècle dernier, qui campe Sesto avec un art consommé;
– le couple Annio-Servilia est tenu par Brigitte Fassbaender et Lucia Popp, deux grandes dames du chant qui, quoi qu’elles chantent, y apportent leur musicalité et leur personnalité inimitables.
Werner Krenn fait un magnifique Tito et Tugomir Franc dans le rôle de Publio ne dépare en rien ce plateau splendide.

A côté de cette très belle version, nous pouvons évoquer aussi la version officielle de Colin Davis, enregistrée en 1976 pour Philips (il existe plusieurs versions sur le vif de Davis dirigeant cet opéra qu’il a beaucoup défendu), qui, bien qu’il manque quelque peu de l’allant mozartien d’un Kertész, dirige un orchestre brillant, et ses tempos parfois un peu retenus apportent une solennité bienvenue. Janet Baker, dans le rôle meurtrier de Vitellia, réalise une contre-performance : en difficultés avec l’italien et avec les vocalises, elle ralentit le tempo de l’ensemble et nous gratifie de quelques fausses notes. Mais trois interprètes méritent nos plus chaudes louanges&nsbp;: Yvonne Minton, hors de propos, mais passionnante, ainsi que Frederica von Stade et Lucia Popp, plus idiomatiques dans Mozart, au dessus de tout éloge. Le récitatifs sont excellemment chantés et joués. Avec une Vitellia plus en affinités avec l’italien et les vocalises, ç’aurait été la version idéale de l’eouvre, toutes périodes confondues.

Par ailleurs, la version de Karl Böhm de 1978, pour Deusche Grammophon, peut être appréciée pour sa direction, mais les interprètes, dont plusieurs avaient déjà enregistré Idomeneo avec le même chef l’année précédente, ont toujours des problèmes avec la diction italienne.

Nous n’avons pas, pour le moment, écouté la version Muti qui, pour le chef, Winbergh et Vaness, mériterait notre attention.

Versions "historiquement informées"

Cinq versions baroques notables de cet opéra ont été enregitrées depuis 1990.

Comme Kertész, Hogwood nous a quittés trop tôt et l’on a tendance à oublier qu’il fut l’un des pionniers les plus talentueux du renouveau baroque; son témoignage de La Clemenza di Tito, datant de 1992, est à notre sens le plus réussi de la discographie. Les deux points forts sont, d’une part un plateau de toute première force de voix aux timbres riches et très personnels (la confusion entre tous les timbres féminins est un souci presque constant à l’audition des différentes versions de l’œuvre, sauf dans celle-ci) et, d’autre part, un orchestre d’instruments anciens qui accompagne amoureusement les voix. Cette sensuelle caresse de l’orchestre est unique dans la discographie de cette œuvre.

Du côté des voix, Cecilia Bartoli donne tout son talent (et sa parfaite diction italienne – elle sait parfaitement ce qu’elle chante, contrairement à ses consœurs) au rôle de Sesto, incarne son amour aveugle pour Vitellia, ses dilemmes, son acceptation presque suicidaire. Contrairement à Maria Casula, Della Jones en Vitellia poitrine ses graves et fait basculer le rôle du côté Lady Macbeth. Barbara Bonney rayonne de beauté dans le rôle de Servilia. Diane Montague, parfaite en rôle travesti, l’excellent mozartien Uwe Heilman (qui fut le dernier Tamino de Solti) en Tito et Gilles Cachemaille complètent ce plateau homogène et sans point faible. On regrette seulement que la basse continue, qui accompagne les récitatifs, soit tenue par un pianoforte, et non, comme la partition le réclame, un clavecin et un violoncelle.

La version d’Harnoncourt, enregistrée en 1993, fait partie des réussites de ce chef. Il avait enregistré, depuis 1980, une dizaine d’opéras de Mozart et cette Clemenza bénéficie de toute son expérience. Harnoncourt est ici à son meilleur, bien qu’il ne nuance guère en deça ni au delà du mezzo-forte à forte. L’orchestre est composé, sauf exception, d’instruments modernes, mais la basse continue est tenue par un clavecin et un violoncelle, comme l’exige la partition, et c’est un point fort, car cette combinaison exalte les voix bien mieux que le pianoforte.

Les voix sont moins caractérisées, et le plateau moins homogène, les premiers rôles, tenus par Langridge (Titus), Murray (Sesto) et Popp (Vitellia), sont excellents, les seconds nettement en retrait. Lucia Popp en Vitellia endosse un rôle auquel on ne l’aurait guère associée – et l’on comprend beaucoup mieux les affres de Sesto – et lui apporte une émotion très subtile.

La version Gardiner, la première sur instruments anciens, enregistrée en 1990, bien qu’elle soit un composite de plusieurs enregistrements pris sur le vif lors de représentations, manque de vitalité théâtrale. Les chanteurs semblent bridés, et seul le Sesto impressionnant de présence d’Anne Sophie von Otter semble à sa place. Le fait que l’enregistrement soit pris sur le vif ne nuit absolument pas aux parties musicales et chantées, seuls les récitatifs sont un peu moins « parfaits » qu’au studio, avec quelques bruits de scène et quelques prises de son trop éloignées ou trop rapprochées.

La version Mackerras est, tout au contraire, pleine de vie et de théâtre, mais, comme la version Gardiner, elle tourne entièrement autour du seul personnage de Sesto, admirablement chanté par Magdalena Kozema, mais son entourage est en retrait, ce qui est assez inhabituel chez Mackerras, dont l’un des points forts, dans ses autres réalisations mozartiennes, a toujours été de savoir rassembler des voix venues de différents horizons, pour monter des plateaux homogènes contre toute attente. La Kozema n’a pas tout à fait la présence imposante d’une von Otter, ni la luxuriance de timbre d’une Bartoli, mais ce qui fait son charme est la souplesse, la ductilité de cette voix qui se plie à toutes les émotions du personnage. Cette version ne se situe pas au niveau d’excellence de celles d’Hogwood et d’Harnoncourt.

Jacobs, enfin, réussit ici sa meilleure prestation dans Mozart, et tout amateur de ce chef devrait acquérir cet enregistrement en priorité. Mais nous ne pouvons conseiller cet enregistrement dans l’absolu, malgré les excellentes critiques dont il a bénéficié, compte tenu du refus du chef de respecter toute mesure pour le tempo ou le niveau sonore, et un plateau très hétérogène, entre la Vitellia vériste de Pedatchanska et le Sesto admirable de distinction et d’élégance de Bernarda Fink.