L’Enfance de Michel-Ange : de sa naissance à son arrivée à Florence

Michel-Ange est né le 6 mars 1475 (la date qui figure dans les biographies, du 6 mars 1474, est celle du calendrier florentin, qui fait débuter l’année le jour de l’Annonciation, fêtée le 25 mars), à Caprese, petite ville de Toscane du diocèse d’Arezzo et proche de Florence.

Son père était de petite noblesse, liée aux Simoni selon Vasari, ou aux plus prestigieux Canossa selon Condivi.

Selon les registres officiels, Michel-Ange était le second de 5 enfants. Et c’est par ces mêmes documents d’état-civil que nous obtenons les seules informations sur sa mère, Francesca, fille de Neri del Miniato di Siena, totalement oubliée des biographes. Elle est morte en 1481, alors que Michel-Ange avait 6 ans.

Le père de Michel-Ange, Lodovico, fils de Lionardo Buonarroti Simoni, était podestà des villes de Caprese et de Chiusi (la fonction de podestà, à l’époque médiévale et à celle de la Renaissance en Italie du nord et dans le sud de la France, était à peu près équivalente à celle de maire, de premier magistrat et de chef de la police d’une ville ; il était nommé par de plus hautes autorités et était rétribué pour ses fonctions). Quand son mandat prit fin, 6 mois après la naissance de l’enfant, il rentra à Florence et laissa son fils en nourrice à Settignano, située à 3 milles de Florence (environ 5 kilomètres).

Settignano, où Michel-Ange passa presque toute son enfance, était réputée pour ses carrières de pierre dure. Sa nourrice était fille et épouse de tailleurs de pierre. Dans sa seconde biographie, Vasari cite une remarque que lui aurait faite Michel-Ange : « S’il y a quelque chose de bon dans mon talent, cela me vient d’être né dans la finesse de l’air de votre pays d’Arezzo, comme j’ai tiré du lait de ma nourrice les ciseaux et le maillet avec lesquels je fais mes statues. » (Giorgio, s’i’ho nulla di buono nell’ingegno, egli è venuto dal nascere nella sottilità dell’aria del vostro paese d’Arezzo; cosi come anche trai dal latte della mia balia gli scarpelli e’ l mazzuolo, con che io fo le figure.)

Vers l’âge de 10 ans – sa mère étant morte depuis 4 ans -, Michel-Ange partit rejoindre son père à Florence. A peu près à cette époque, celui-ci épousa en seconde noces une certaine Lucrezia Ubaldini. Nous n’avons pas d’autre renseignement à son sujet, sinon que cette Lucrezia rejoignit dans l’autre monde la précédente épouse de Lodovico en 1497.

Il ne s’agit là que d’une hypothèse, mais il est aisé de se faire un tableau plutôt sombre du père de Michel-Ange, un homme avare, dur, séparant la mère de l’enfant (se sont-ils même revus ? on n’a aucune trace dans les documents parvenus jusqu’à nous de Michel-Ange évoquant sa mère), on imagine ses deux épouses, mal aimées, mal traitées, séparées de leurs famille et de leur propre chair, et mourant de chagrin beaucoup trop jeunes, même pour cette époque. Cela, répétons-le, est de l’ordre de l’hypothèse.

Mais une telle hypothèse entre en harmonie avec beaucoup d’éléments ultérieurs de la vie de Michel-Ange. La pierre, le marbre ne lui étaient pas seulement familiers, c’était aussi un objet d’amour, l’amour inacessible d’une mère morte, froide comme la pierre et maintenant sous une pierre, un amour qui devint homosexuel pour ne pas être incestueux. En outre, un tel tableau du père, son seul parent survivant, et qu’il a donc, en quelque sorte, doublement aimé, et dont qu’il a eu doublement peur de perdre, peut expliquer l’avarice compulsive de Michel-Ange adulte – puisqu’il est évident que Lodovico était un homme âpre au gain, et que lui apporter de l’argent était la manière la plus directe de le satisfaire. Une telle vision des choses est plus poétique que réaliste, mais elle est séduisante.

Dans sa biographie de Michel-Ange, l’historienne de l’art Marta Alvarez Gonzáles trace un portrait frappant de l’artiste recherchant à toute force à restaurer le faste perdu de sa famille.

Quelle que soit l’image que l’on peut se faire de l’enfance de Michel-Ange, à partir d’aussi faibles éléments, c’est dans cette enfance, à Settignano puis à Florence, que se sont dessinées les grandes lignes de la personnalité de Michel-Ange : son talent de sculpteur, son acharnement au travail, la frugalité de son mode vie et la fortune qu’il amassée.

Les années de formation à Florence

Lorsqu’il arriva à Florence à l’âge de 10 ans, Michel-Ange fut envoyé par son père étudier la grammaire auprès d’un certain Francesco da Urbino (qui n’a rien à voir avec le peintre du même nom). Mais l’enfant manifestait déjà un goût prononcé pour le dessin, et, en 1488, il entra en apprentissage dans l’atelier de Girolamo Ghilandaio, l’un des plus grands peintres florentins de son époque, pour une durée de 3 ans. Michel-Ange devait rapporter à son père 24 florins pendant cette période.

Condivi, dans sa biographie de Michel-Ange, fait l’écho de celui-ci, quand il proteste que son père ne voulut rien entendre pendant longtemps de laisser son fils embrasser une une carrière bien en dessous de sa condition. Ces protestations sonnent faux, l’âge où Michel-Ange est entré en apprentissage était un âge « normal ». Ce qui l’était moins, c’était que l’enfant était payé.

Les biographes de Michel-Ange rapportent que celui-ci manifesta un talent si extraordinaire pour les dessin, qu’il suscita la jalousie de Ghirlandaio (selon Condivi) ou son admiration la plus sincère (selon Vasari).

Michel-Ange quitta l’atelier de Ghirlandaio avant le terme du contrat pour rejoindre l’école de Lorenzo de’ Medici, "il Magnifico" (Laurent le Magnifique), qui était le maître de Florence. Lorenzo avait placé la collection de sculpures antiques, rassemblée par son grand-père Cosimo et par lui-même, dans les jardins de la place San Marco, sous la surveillance du sculpteur Bertoldo di Giovanni, qui avait été l’élève de Donatello.

Donatello (Florence, 1386-1466) était le plus grand sculpteur italien avant Michel-Ange. Il était réputé pour ses marbres aussi bien que pour ses bronzes.

De cet épisode, la rencontre de Lorenzo et de Michel-Ange, nous avons les deux versions, celle de Condivi et celle de Vasari.

Selon Condivi, c’est l’ami de Michel-Ange, Franceso Granacci, apprenti comme lui à l’atelier de Ghirlandaio, qui fit découvrir à celui-ci les jardins de San Marco, où Lorenzo avait établi une sorte d’école d’art, en mettant en présence des oeuvres, des maîtres et des jeunes gens avides d’apprendre, d’une manière informelle, mais qui correspondait à la philosophie néo-platonicienne qu’il contribuait à diffuser. Ebloui par la beauté des sculptures, Michel-Ange décida d’abandonner la peinture pour se consacrer à l’art qu’il avait "tiré du lait de sa nourrice", la sculpture.

Condivi rapporte également une anecdote : Michel-Ange, dans les jardins de San Marco, avait sculpté une tête de faune, une divinité secondaire de la mythologie grecque aux traits marqués par la vieillesse. Lorenzo venant à passer par là, il remarqua le jeune artiste, se pencha sur son ouvrage et fit remarquer, par plaisanterie, que le faune, malgré son grand âge, avait encore toutes ses dents. Alors Michel-Ange fit sauter, d’un coup de ciseau, l’une des dents du faune. Lorenzo apprécia à la fois l’art et l’attitude du jeune homme et c’est suite à cet évènement que Lorenzo prit Michel-Ange sous sa protection et offrit à son père une charge dans les douanes.

Selon Vasari, Lorenzo déplorait que, si l’Italie avait tant de peintres de génie, elle n’avait enfanté que peu de grands sculpteurs. Il se mit alors à la recherche de jeune gens talentueux, c’est ainsi qu’en interrogeant Ghirlandaio, il apprit l’existence du jeune Michel-Ange et le fit venir à l’école de San Marco.

Il faut toucher ici quelques mots du "néo-platonisme médicéen". Il s’agit d’un mouvement philosophique dont le principal initiateur était Marcilio Fissino (Marcile Fissin en français) et dont Cosimo da Medici (Cômes de Médicis), grand-père de Lorenzo, et Lorenzo lui-même furent les principaux mécènes. Cette philosophie, inspirée de celle de Platon, d’Aristote et de Plotin, voire aussi celle de Pythagore et d’Hermès Trismégiste, concernait des domaines extrêmement divers : philosophie, certes, mais aussi politique, humanisme, arts et religion. En fait, la pensée néoplatonicienne est un humanisme et c’est sans doute le courant philosophique qui a le plus contribué à façonner l’esprit de la Renaissance. Quant à leur vision de l’art, elle s’inspirait directement de la philosophie platonicienne et affirmait que le "beau" conduit au "bien".

Marcile Fissin était encore actif au temps de Lorenzo. Angelo Politiano (Ange Politien), son disciple, eut une grande influence sur Michel-Ange, qui s’est inspiré du symbolisme néoplatonicien dans la plupart de ses oeuvres.

Selon Condivi, Michel-Ange apprit peu de Bertoldo, qui était sculpteur sur bronze, mais s’initia lui-même, en copiant les antiques, à la sculpture sur pierre et sur marbre. Là encore, son talent le fit remarquer, et excita la jalousie d’un condisciple, Torrigiano, avec lequel il se battit. Il s’y cassa, littéralement, le nez, ce qui modifia son visage pour toute sa vie.

Torrigiano était un jeune sculpteur talentueux, mais à la vie tumultueuse. Il partit à Londres, au service de la Couronne, puis à Séville, et mourut dans les prisons de l’Inquisition à l’âge de 56 ans.

De cette époque, nous conservons deux sculptures de Michel-Ange, deux bas-reliefs magnifiques mais dans lesquels on chercherait difficilement une préfiguration du Moïse ou de l’Escalve mourant : la Madonne à l’Escalier, un "à la manière de" Donatello, et le Combat de Centaures, directement inspiré des bas-reliefs de sarcophages romains. Cette dernière fut laissée inachevée à la mort de Lorenzo, survenue en 1492. La Tête de faune, elle aussi "inspirée" de l’antique, et dont parlent les biographes, a été perdue.

Liens

Liens externes

Texte de 1550 des Vies de Vasari (dans la langue originale, l’italien de la Renaissance)