Nous connaissons la mythologie grecque au travers de nombreux textes, d’Homère et Hésiode aux frères Tzétzès, deux érudits du 12e siècle de notre ère, en passant par Pausanias, Apollodore, Apollonius de Rhodes, les poètes, les tragiques, les philosophes, les auteurs latins, les grammairiens alexandrins, les prosélites chrétiens et les érudits byzantins… 2000 ans d’écrits dans lesquels faire la chasse à l’information.

À l’époque archaïque, où la plupart des peuples de la Méditerranée n’avaient pas d’écriture, on racontait des histoires merveilleuses, répondant aux questions essentielles (qui sommes-nous ? d’où venons-nous ? où allons-nous ?), donnant des visages aux peurs et aux fléaux, aux puissances de la terre et du ciel, à la mort et aux plaisirs. Dans ce creuset mouvant de langues, de peuples et de cultures que constituait le bassin méditerranéen, tous les peuples, symbolisés par leurs divinités tutélaires, se rencontraient, dans la paix ou dans la guerre et sublimaient leurs histoires en mythes et donnaient à leurs ancêtres des origines divines.

À l’époque classique, alors que la Grèce antique était à son apogée, la mythologie constituait un fond, réputé connu de tous, et dans lequel les auteurs, poètes et dramaturges, ainsi que les peintres, sculpteurs et céramistes, puisaient des thèmes qui allaient faire écho, toucher aussi bien les coeurs que les mémoires. Mais ce fond nous est, pour une bonne part, inconnu : nous connaissons les oeuvres qui s’en sont inspirées (du moins, les oeuvres qui n’ont pas été perdues), mais non les sources originelles. En plusieurs siècles, ces mythes ont été colportés, déformés, voire intentionnellement modifiés par des clergés soucieux de protéger la réputation de leurs divinités tutélaires. Des éléments ont été mal copiés, oubliés ou perdus…

Le génie des Grecs n’a pas été celui d’inventer ces histoires, car chaque peuple possédait ses mythes propres, et la mythologie grecque est faite de tous les mythes de Méditerranée, des colonnes d’Hercule à la Mer Noire, des Alpes aux sources du Nil et à l’Atlas : le génie des Grecs a été de les avoir transcrits, non qu’ils furent les seuls à posséder l’écriture, mais parce qu’ils ont été parmi les rares à utiliser l’écriture pour autre chose que la comptabilité.

Les sources écrites de la mythologie grecque

Poètes, dramaturges, philosophes, fabulistes, historiens, géographes… : ils ont tous fait appel aux mythes. La mythologie est presque partout dans les textes grecs anciens. Mais le « Grand Texte Originel », l’équivalent de la Bible, de la Légende dorée ou des Veda, et qui aurait rassemblé toute l’histoire de tous les dieux, de la création du monde aux derniers héros, n’existe ni n’a sans doute jamais existé. Tout ce que l’on apprend, au travers des textes, soit par les allusions qui les émaillent, soit que ces textes soient entièrement consacrés aux mythes, comme par exemple, la Théogonie d’Hésiode, forme un "corpus" plein de contradictions.

Par exemple, une contradiction de taille entre ces deux auteurs, à propos d’une des plus importantes déesses de l’Olympe, Aphrodite, déesse de l’amour est, pour l’un, fille de Zeus, et pour l’autre, d’Ouranos, le ciel.

Pour notre part, et à l’inverse de la quasi-totalité des mythographes, nous ne prendrons généralement pas en compte, sauf exception justifiée (Hygin et Ovide, en particulier), les auteurs latins. Les Romains possédaient leur propre mythologie avant de "croiser le chemin" des Grecs qu’ils admiraient et imitaient. Mais nous estimons que le caractère propre de la mythologie grecque est très différent de la romaine. Bien entendu, la période hellénistique (conquête de la Grèce par la Macédoine et constitution de l’empire d’Alexandre jusqu’à l’époque byzantine), où la culture grecque a été préservée et s’est étendue en Asie et en Egypte (création de la grande bibliothèque d’Alexandrie), nous intéresse, de même que l’époque byzantine, bien que la religion polythéiste grecque eut disparu, au profit du christianisme, car de nombreux mythes ont été sauvegardés par des auteurs chrétiens chargés de la combattre…

Hésiode

L’un des plus anciens textes que l’on connaisse, la Théogonie d’Hésiode (8e siècle avant Jésus-Christ), est une mine : Hésiode nous donne la généalogie de tous les immortels, depuis la naissance du monde. Il donne de la naissance de l’univers une origine logique, qui préfigure l’esprit d’Aristote, et le raccorde au fleuve scintillant de la légende, non sans, parfois, tomber dans la contradiction. Les autres poèmes d’Hésiode, Les Travaux et les Jours et Le Bouclier d’Héraclès, recèlent également d’intéressantes données mythologiques.

Homère

Les éléments les plus captivants concernant la mythologie grecque proviennent des épopées attribuées à Homère, l’Iliade et l’Odyssée. Dans ces deux textes, les dieux et les héros vivent devant nos yeux : les dieux quittent l’Olympe pour se mêler aux mortels et aider leurs protégés sous des apparences d’emprunt, décident au cours de réunions enflammées du sort de tel ou tel héros, vont et viennent dans un monde de magie et de sortilèges, boivent le nectar et l’ambroisie tandis que l’ichor, et non le sang, coule dans leurs veines – et les héros, quant à eux, effectuent libations de vin épicé et sacrifices de bétail gras pour s’attirer les bonnes grâces des Olympiens, se battent pour reprendre la plus belle du monde, mais aussi pour gagner des vases et des trépieds, des étoffes habilement tissées et des femmes qui deviendront leurs esclaves, appréciées pour leur beauté ou pour leur talent artisanal.

Mais, si Homère nous fait découvrir un monde fascinant, cohérent, d’une présence intemporelle extraordinaire, et des légendes pleines de charme, il est impossible, à partir des textes que nous avons conservés de lui, de redessiner toute l’histoire des mythes.

On ne peut que regretter que les autres épopées du Cycle troyen, une histoire qui commence à la déception de Zeus face à l’espèce humaine et qui lance l’enchaînement des causes qui entraîneront la guerre de Troie, jusqu’aux retours des héros dans leur patrie (aventureuse pour Ulysse, tragique pour Agamemnon), se soient perdues. Et que dire encore du Cycle thébain, dont le personnage central est Œdipe, roi de Thèbes, dont il ne reste rien, sinon quelques épisodes mis en scènes par les auteurs tragiques ?

Les Hymnes homériques

A côté de l’Iliade et de l’Odyssée, une abondante source d’histoires mythiques est constituée par les Hymnes homériques, attribués, comme leur nom l’indique, à Homère à l’époque antique. Il s’agit d’éloges ou de fragments d’éloges à des divinités. Il est peu probable que ces hymnes aient été composés par Homère, ni même par une seule personne, car leurs dates de compositions s’étaleraient du 7e siècle avant Jésus-Christ au 4e siècle de notre ère. Parfois considérés avec dédain par les amateurs de belles-lettres, ils constituent pour les amateurs de mythologie une source précieuse d’informations.

Les Textes orphiques

Réputés écrits par le légendaire Orphée (qui aurait vécut vers 1300 avant J.-C.), ces textes liés aux mystères orphiques sont aussi difficles à dater que les Hymnes homériques.

Les Hymnes orphiques, 87 petits poèmes consacrés aux divinités, auraient été écrits à la fin de la période hellénistique ou au début de la conquête par Rome. On connaît également un traité sur les Pierres, qui en décrit l’usage "spirituel", et une Argonautique d’Orphée, récit de la quête de la Toison d’or par Jason et ses compagnons, embarqués sur le navire Argo (Orphée faisait partie de l’équipage). Enfin, il reste également des fragments de textes orphiques, vraisemblablement tendancieux, puisque découverts dans les Stromates ("mélanges") de l’auteur chrétien Clément d’Alexandrie, dont l’objectif était de réfuter les "hérésies" et de propager la gnose chrétienne.

Les Poètes lyriques

Du 7e au 5e siècle avant J.-C., a fleuri dans toute la Grèce un genre de poésie, très différent de la poésie épique (longues épopées en vers relatant les exploits passés), et nommée "lyrique" parce qu’elle était déclamée (chantée ?) avec accompagnement de la lyre (oublions pour le moment la définition actuelle de "lyrique", "caractérisé par l’expression des sentiments" ou "relatif à l’opéra"). Parmi eux, il faut citer Sappho de Lesbos, car il y avait, parmi ces poètes archaïques, aussi bien des hommes que des femmes. De nombreux thèmes sont abordés dans ces oeuvres, et la mythologie en fait partie. Malheureusement, la quasi-totalité de cette littérature ne nous est parvenue que sous forme de fragments, à l’exception de deux poètes : Pindare et Bacchylide, qui se sont illustrés dans les odes composées en l’honneur de vainqueurs de compétions athlétiques. Si l’on a facilement accès à une traduction des oeuvres de Pindare, et bien que la découverte de papyrus contenant des odes de Bacchylide soit ancienne, leur traduction française est récente et son usage dans ce site poserait des problèmes de droits.

Les Tragiques

Selon Aristote, ce serait à partir du dithyrambe, pièce religieuse chantée par un choeur, puis par un choeur et un soliste (le coryphée), en l’honneur de Dionysos, pour les fêtes athéniennes, que serait née la tragédie.

Les trois grands tragiques grecs, tous athéniens, sont Eschyle (525 – 456 av. J.-C., actif au 5e siècle), Sophocle (485 – 406 av. J.-C.) et Euripide (480 – 406 av. J.-C.).

Des 90 tragédies et 26 drames satyriques d’Eschyle, composées entre 484 et 458 avant J.-C., il nous reste 6 tragédies, dont la première, Les Perses, n’apporte rien sur le plan mytholgique : elle relate la victoire des Grecs sur l’ennemi perse. En outre, une septième tragédie, le Prométhée enchaîné, aurait été composé pendant sa "retraite" en Sicile, mais sa paternité fait doute.

Sophocle, le plus réputé des tragédiens grecs, a écrit 123 tragédies, ainsi que des drames satyriques. Il nous en reste 8, 7 tragédies et l’essentiel d’un drame satyrique, les Limiers, ayant le même sujet que l’Hymne homérique à Hermès.

D’Euripide, il nous reste, sur plus de 90 pièces écrites, 17 tragédies et un drame satyrique, Le Cyclope ayant pour sujet l’épisode de l’Odyssée relatant les mésaventures d’Ulysse avec le cyclope Polyphème, est un drame satyrique. On a également quelques fragments de pièces perdues.

Par contre, des centaines de pièces de théâtre des autres tragédiens d’Athènes entre le 5e siècle et la fin de la période hellénistique, dont le nombre est estimé à environ 80, il ne nous reste que des titres et quelques fragments.

Dans un registre plus léger, Aristophane (445 – 386 av. J.-C.), auteur de comédies pleines d’un humour particulier, parfois énorme, et parfois très fin. Ses évocations mythologiques sont, le plus souvent, satiriques et extravagantes. Par exemple, de la tradition orphique (supposée) de la crétion du monde, à partir de l’oeuf originel (image très évocatrice du big bang), il a fait un drame satyrique, Les Oiseaux. Puisque l’origine du monde est un oeuf, les créature supérieures ne peuvent en être que des oiseaux.

Tous ces auteurs, en mettant en scène les dieux et les héros, émaillent leur texte de références mythologiques précieuses. Elles sont les seules sources qui nous restent notemment du cycle thébain (histoire d’Œdipe) et du tragique retour d’Agamemnon dans sa patrie.

Les Philosophes et la naissance des sciences occidentales

Les préoccupations des philosophes, des mathématiciens, des naturalistes grecs, de Thalès de Milet et des Sept Sages à Aristote (qui fut le précepteur d’Alexandre le Grand), excluaient de leur chant de réflexion la mythologie mais, contre toute attente, le philosophe Platon nous a laissé, dans ses Dialogues, quelques précieux éléments de mythologie.

La période hellénistique

De cette période, nous retenons trois auteurs précieux aux yeux des mythographes : le poète Callimaque, dont il nous reste notamment six hymnes à sujet mythologique, Appolonius de Rhodes, auteur d’une Argonautique beaucoup plus fournie que celle attribuée à Orphée, et Lycophron, auteur d’un poème épique, Alexandra (ou Cassandre), rempli d’obscures allusions mythologiques. On trouvera sur internet des traductions de ce poème, récit des tristes visions de la prophétesse Cassandre, condamnée par Apollon à voir l’avenir mais à n’être jamais crue, à propos du sac de Troie. Deux érudits du 12è siècle, les frères Jean et Isaac Tzétzès, de Constantinople, ont annoté de façon brillante, en grec, ce poème en y éclairant toutes les obscures allusions. Malheureusement, ce travail n’a jamais été traduit.

Après la mort d’Alexandre, la ville d’Alexandrie, en Egypte, devint une "nouvelle Athènes", abritant la fameuse "grande bibliothèque", qui fut plusieurs fois détruite en partie et reconstituée (en partie). C’est également les grammairiens et érudits de cette bibliothèque qui établirent le texte "canon" de l’Iliade et de l’Odyssée (le "canon alexandrin"), sauvegardant ces deux merveilleux poèmes, mais précipitant la perte définitive des autres épisodes du cycle troyen, en rejetant la paternité d’Homère sur ces textes.

Bien que la postérité se souvienne de lui comme d’un scientifique, Ératosthène, astronome, géographe, philosophe et mathématicien alexandrin du 3e siècle avant J.-C., directeur de la Bibliothèque d’Alexandrie, précepteur du futur-pharaon Ptolémée IV, inventeur du fameux "crible" et qui a donné une mesure assez exacte de la circonférence terrestre, nous a laissé, grâce à la "sauvegarde" qu’en fit un autre astronome, Aratos de Soles, dans ses Phénomènes, une quarantaine d’histoires mythologiques en relation avec des constellations d’étoiles, Les Constellations (aussi connues sous le nom plus savant de Catastérismes).

La Bibliothèque du pseudo-Apollodore et les Fables du pseudo-Hygin

A une date mal connue, mais que l’on estime au 2e siècle après J.-C. parut la Bibliothèque, faussement attribuée à l’historien Apollodore, une source impressionnante de mythes, écrite en grec : pour la première fois, était constitué un "recensement" systématique des mythes. Le style de ce texte est volontairement ramassé et ne s’embarrasse pas de figures de style. Ce document est éminemment précieux. Il est généralement en concordance avec Hésiode, mais ajoute de nombreuses légendes non resensées par Hésiode.

En marge de notre champ de recherche, puisqu’il s’agit de textes latins, existe une source tout aussi impressionnante en quantité, mais guère plus prolixe en poésie, les Fables d’Hygin, écrites autour du 1er siècle avant-1er siècle après J.C., se composent de près de 300 brèves histoires sur les dieux, monstres et autres créatures mythologiques. Ces Fables ont été écrites en latin. Et nous regrettons qu’elles n’aient jamais été traduites en français. Par contre, il en existe d’excellentes traductions anglaises.

Les voyages de Pausanias

La zone décrite par Pausanias

Une carte des régions de la Grèce antique, avec, en rouge, le territoire grec de la « grande période » et, en vert, les régions décrites par Pausanias.

Pausanias, un écrivain-voyageur du 2e siècle après J.C., nous a laissé un monumental ouvrage, extrêment riche d’informations, la Description de la Grèce. Après ses voyages, il se fixa à Rome (la Grèce, à cette époque, était une province de l’empire romain) et rédigea ses 10 volumes décrivant la géographie, les peuples, les temples, palais et œuvres d’art de la partie centrale de la Grèce. Malheureusement, une grande partie de la Grèce à son apogée ne fait pas l’objet de ce texte (voir carte ci-contre). Ce qui fait l’intérêt de ces oeuvres pour le mythographe, c’est d’abord la localition des lieux de culte, la description de certaines célébrations et les légendes locales. Par contre, sur le plan archéologique, c’est un auteur assez discuté

Strabon, géographe grec du siècle prédédent, offre nettement moins d’intérêt pour les mythographes.

Période byzantine

Après la division de l’empire romain entre Rome et Byzance (effective dès le 2e siècle après J.-C. et rendue officielle en 395), le monde grec a irrémédiablement changé : après la conquête par la Macédoine, puis par Rome, et enfin par le christianisme, devenu religion d’état, les mythes sont devenus, d’abord l’ennemi à combattre en vue d’une évangélisation générale, puis une affaire d’érudits, une connaissance nécessaire pour apprécier les récits des anciens, mais non une affaire de foi, de transmission d’un patrimoine populaire (au sens de "qui appartient à un peuple", uni par une même langue) de génération en génération.

Parmi les auteurs chrétiens qui, en combattants ces "hérésies" ont contribué à les conserver, il faut citer Clément d’Alexandrie qui, dans ses Stromates ("Mélanges"), a sauvegardé des fragments de textes orphiques, notamment.

Proclos, qui vécut au 5e siècle entre Byzance et Athènes, rédigea une Chrestomathie ("morceaux choisis d’auteurs célèbres"), où il donna, entre autres, un résumé des chants perdus du cycle troyen. Mais son ouvrage, connu parce que résumé dans le Myrobiblon de Photius de Byzance, a été longtemps considéré comme perdu. Au 18e siècle, les résumés des chants du cycle troyen furent retrouvés à Venise, dans la bibliothèque Saint-Marc.

Citons également Photius, patriarche de Byzance (9e siècle après J.C.) qui, dans son Myrobiblon (également connu sous les terme "Bibliothèque"), a rédigé près de trois cents résumés d’ouvrages dont beaucoups seraient restés inconnus. La plupart sont des ouvrages religieux, mais les numéros 186 à 190 sont consacrés à des "histoires païennes".

La période byzantine est également la grande époque des scholies, des notes ajoutées par des érudits, connus ou non, en marge des ouvrages, avec des citations tirées d’oeuvres perdues.

Dans cette abondance de données, qui ne représente pourtant qu’une petite partie de toute la littérature grecque, avec ses incohérences, des mentalités en évolution, un langage en évolution, des traductions souvent discutables, des préjugés et des raccourcis, seule une observation critique aiguisée nous permettra de tirer de cette mer scintillante d’histoires, profondément humaines dans leur merveilleux, la sagesse immémoriale qu’elles porte en elle.