De nombreux monstres peuplent la mythologie grecque : les héros des grandes épopées les rencontrent au fil de leurs pérégrinations et débarrassent la terre de leur présence malfaisante, grâce à leur force, à leurs ruses ou avec l’aide des dieux de l’Olympe. Ces monstres sont presque tous les enfants ou les descendants de Gaïa, qu’elle concût seule ou avec Pontos ou même le Tartare.

Vue sur la planète terre par Hugo Heikenwaelder

Vue sur la planète terre, la très belle représentation de Gaïa, la terre-mère, par Hugo Heikenwaelder

Selon Hésiode, Gaïa "aux larges flancs, demeure à jamais sûre de tous les immortels qui habitent le sommet enneigé de l’Olympe", fut la seconde créature à apparaître dans l’univers, après le Chaos. Comme le Chaos, Gaïa, le Tartare et l’Amour surgirent du néant.

Ouranos, Ouréa et Pontos

Les premiers enfants de Gaïa, qu’elle conçut seule, sans l’intervention d’aucune entité masculine, furent Ouranos le Ciel, Ouréa les hautes montagnes, et Pontos "l’étendue stérile du large, qui se gonfle et fait rage".

Puis elle s’unit à Ouranos, et engendra les Titans et Titanides, les 3 Cyclopes et les 3 Géants aux cents bras. Mais Ouranos et Gaïa se prirent de haine et Gaïa demanda à ses enfants, relégués par leur père au Tartare, de castrer leur père Ouranos à l’aide d’une faucille de fer (ou, selon d’autres, de silex). Seul Cronos, le plus jeune des Titans, en eut le courage. Du sang de la blessure tombé sur le sol naquirent les Erynnies, terribles déesses de la vengeance, et du sexe du dieu, jeté dans la mer, et de l’écume qui se forma autour de lui naquit la belle Aphrodite, déesse de l’Amour.

Les Cyclopes

Les Cyclopes ("Yeux ronds"), enfants de la Terre et du Ciel, sont d’une autre génération que celui qui apparaît dans l’Odyssée, Polyphème. Celui-ci était fils de Poséidon, dieu de la Mer.

Les trois premiers cyclopes, Brontès, Stéropé et Argès, noms qui signifient "Tonnerre", "Éclair" et "Foudre", portaient chacun un oeil unique et rond sur son front. Enfermés dans les entrailles de la terre avec les Titans, ils furent libérés par Cronos, puis, dès que celui-ci eut pris le pouvoir, à nouveau enfermés dans le Tartare, jusqu’au moment où Zeus apprit par un oracle qu’il ne vaincrait les Titans qu’avec l’aide des autres enfants de Gaïa, les Cyclopes et les géants Hécatonchires. Il tua Campé, la vieille gardienne du Tartare, et libéra les Cyclopes, et ceux-ci, en gratitude, lui donnèrent la puissance sur le tonnerre, l’éclair et la fourde. Ils étaient d’habiles forgerons, préfigurant l’incroyable ingéniosité d’Héphaïstos, et donnèrent un casque d’invisibilité à Hadès et un trident à Poséidon, les deux frères de Zeus.

Les Hécatonchires

Les Géants aux 100 bras (ou "Hécatonchires", mot d’origine grecque signifiant "100 mains") étaient des être monstrueux, dotés chacun de 100 bras et de 50 têtes. Ils se nommaient Briarée, Gygès et Cottos. Comme les Cyclopes, ils aidèrent Zeus dans son combat contre les Titans en lançant sur ceux-ci d’énormes rochers. Après la victoire de Zeus, les Géants devinrent gardiens du Tartare et vécurent dans un palais aux sources mêmes d’Okéanos. Briarée épousa Cymopolée, une fille de Poséidon. Et l’on dit même que Briarée (encore connu sous le nom d’Aegaeon) et le héros Héraklès, celui des douze travaux, ne faisaient qu’un.

Les Erinyes

Voir, pour plus d’informations sur les Erinyes, notre page sur les Triades féminines de la mythologie grecque.

Lorsque Cronos eut castré son père Ouranos, si la semence, se mêlant à l’écume de la mer engendra la belle Aphrodite, le sang qui tomba sur la Terre-mère Gaïa enfanta les terribles Erinyes, ainsi qu’une autre race de géant, bien différente des bienveillants Hécatonchires, et les nymphes méliennes.

Les Erinyes, souvent citées dans les textes depuis les plus anciens, sont des terribles divinités qui s’attachent aux pas des criminels (notamment, dans les familles d’Agamemnon et d’OEdipe, où les crimes les plus graves aux yeux des anciens grecs ont été commis : parricide et inceste) pour les châtier sans relâche, jusqu’à les rendre fous. Ne pourrait-on les appeler, simplement "Remords" ? Dans la Bibliothèque d’Apollodore (voir notre page sur les sources de la mythologie grecque), on en compte trois, qui se nomment Alecto, Tisiphoné et Mégère.

Hésiode ne nous renseigne pas davantage quant aux géants issus du sang d’Ouranos et de Gaïa (le nom de "géant" – "gi-gantès" en grace, signifiant justement "nés de la terre"), mais des légendes plus tardives les oppose à Zeus et aux Olympiens dans une grande bataille que l’on nommme "gigantomachie".

Les enfants de Gaïa et de Pontos

Après la castration d’Ouranos, Gaïa s’unit à Pontos, le "flot marin" (d’eau salée, alors qu’aux origines, Okéanos ou l’Océan était le fleuve d’eau douce qui entourait la terre), et elle enfanta Nérée, le Vieillard de la mer, aini que Thaumas et Phorcys, divinités masculines, et Cétô et Eurybié, divinités féminines. Eurybié s’unit au Titan Cryos, et certains font d’Eurybié une Titanide.

De l’Océanide Electre, Thaumas eut Iris, l’arc-en-ciel, qui devint messagère des dieux, mais aussi les abominables Harpyes, qui signifie "ravisseuses". Les Harpyes étaient deux, Aellô et Ocypété, ou, selon d’autres traditions, trois. Elles avaient de grandes ailes et pouvaient se déplacer aussi vite que le vent et que les plus rapides des oiseaux. Elle eurent pour victime Phinée, roi de Thrace, que les dieux punirent pour avoir donné des oracles trop précis en le rendant aveugle, et elles le harcelaient en dévorant tout ce qu’on lui servait à manger et, ce qu’elles ne pouvaient avaler, elles le souillaient. Jason, lors de son expédition avec les Argonautes, délivra Phinée des Harpyes.

Python

Parmi les nombreux monstres que mit au monde Gaïa (et dont on ne connaît pas toujours la paternité), il faut citer Python, le serpent-dragon (il n’existe qu’un seul mot grec pour désigner "serpent" et "dragon"). Voici ce que nous conte Hygin dans ses Fables (voir notre page sur les sources de la mythologie grecque) :

"Avant la naissance d’Apollon, c’était Python qui donnait des oracles sur le Mont Parnasse. Il lui avait été prédit qu’il trouverait lui-même la mort de la main d’un enfant de Léto, c’est pourquoi, lorsque celle-ci se trouva enceinte, chassée de partout par la jalousie d’Héra, il la poursuivit pour la tuer. Mais, grâce à la protection de Poséidon, celle-ci put lui échapper et Python retourna au Parnasse. Apollon, quant à lui, retrouva Python, le tua et prit sa place. Il déposa les os de Python dans un chaudron, plaça celui-ci dans son temple et institua des jeux funèbres que l’on nomme jeux pythiens."

Les enfants de Phorcys et de Cétô

Tout aussi terribles que les Harpyes furent les enfants de Phorcys et de Cétô : les Grées et les Gorgones, qui apparaissent toutes dans la légende de Persée, et la terrible Echidna, dont le nom signifie "vipère", être mi-femme, mi-serpent, qui conçut avec le terrible géant Typhon toute une progéniture de monstres affreux.

Les Grées, dont le nom signifie "vieilles", étaient deux, chenues dès la naissance, et pourtant étrangement belles. Elles n’avaient pour elles deux qu’un seul oeil et qu’une seule dent, plus énorme qu’une dent de sanglier, et qu’elles s’échangeaient lorsqu’elles en avaient besoin. Ce sont elles qui, victimes d’une ruse du héros, permirent à Persée de vaincre la Gorgone.

Les trois Gorgones se nommaient Sthéno, Euryalé et Méduse. Les deux premières étaient immortelles et la troisième, Méduse, mortelle. Mais sa vie mouvementée en fait la principale Gorgone, si bien que, dans les textes, lorsqu’on parle de "la Gorgone", c’est méduse que l’on désigne.

La Gorgone Méduse était d’une grande beauté et elle eut beaucoup de prentendants. Mais seul Poséidon put s’unir à elle : il l’emporta, transformé en oiseau, dans un temple d’Athéna où ils firent l’amour. Athéna en conçut une violent colère. Mais d’autres disent que sa colère proviendrait seulement du fait que Méduse osa se comparer à la déesse.

Celle-ce se vengea et commença par transformer la belle chevelure de Méduse en noeud de serpents, puis elle changea la belle Gorgone en monstre ailé dont le regard transformait en pierre (ceux qui la regardaient ou ceux qu’elle regardait : la légende ne le dit pas, mais on sait que les Grecs avaient une… vision assez floue de la perception optique). Lorsque Persée trancha la tête de Méduse, il la donna à Athéna qui a plaça au centre de son égide.

Lorsque Méduse mourut, deux êtres, enfants de Poséidon, sortirent de ses blessures, Chrysaor, qui veut dire "épée d’or", car il naquit en brandissant une épée d’or, et Pégase, le cheval ailé qui rejoignit bientôt les cieux olympiens. Chrysaor, de l’Océanide Callirhoé, engendra Géryon, qui fut tué par Héraclès.

« Callirhoë, au fond d’une caverne, produisit un autre enfant monstrueux, invincible et nullement semblable aux hommes ou aux dieux, la divine Échidna au coeur intrépide, moitié Nymphe aux yeux noirs et aux belles joues, moitié serpent énorme et terrible, marqué de taches diverses et nourri de chairs sanglantes dans les entrailles de la Terre sacrée. Ce monstre habite un antre profond dans le creux d’un rocher, loin des hommes et des Immortels : c’est là que les dieux lui assignèrent une glorieuse demeure. Renfermée dans Arime, la fatale Echidna vivait sous la terre, toujours affranchie de la vieillesse et du trépas. »

Echidna fut, du géant Typhon et de son propre fils, Orthos, qui fut le chien de Géryon, toute une race de monstres, qui furent presque tous tués pas Héraclès, ou par d’autres héros.

Le dernier enfant de Cétô et Phorcys fut Ladon, le serpent qui garde les pommes d’or du jardin des Hespérides. Il avait 100 têtes et parlait toutes sortes de langues. C’est Héra, la déesse aux bras blancs, l’épouse de Zeus qui, ayant remarqué que les Hespérides, filles d’Atlas, lui volaient ses pommes d’or, présent de Gaïa, qu’elle plaça le terrible serpent au milieu du jardin. Il fut tué par Héraclès lorsqu’il emporta les pommes d’or (qu’il rendit par la suite, par respect pour Héra) et son corps fut emmené au ciel où il devint la constellation du Serpent.

Ceux-ci sont les enfants de Cétô et Phorcys cités par Hésiode dans sa Théogonie.

Scylla

Certaines légendes donnent encore un autre enfant à Phorcys : la belle et monstrueuse Scylla. Chaque mythographe lui donne une origine différente. Fille de la mystérieuse divinité Crataeis selon Homère, du tout aussi mystérieux dieu Triénos selon d’autres, ou de la princesse Lamia et de Zeus, ou de la déesse magicienne Hécate et de Phorcys ou de Phorbas, Scylla fut, avant de devenir un monstre, une belle jeune fille, courtisée par Poséidon, ce qui, pour cette seule et unique fois, provoqua la colère d’Amphitrite, la Néréide, épouse légitime de Poséidon (non que Poséidon fût fidèle, il en était loin, mais Amphitrite était une divinité particulièrement paisible). Elle jeta dans le lac où Scylla se baignait une herbe magique, et la Phorcyde (c’est ainsi que l’on nomme les enfants de Phorcys) se transforma en monstre. Mais, parfois, c’est la magicienne Circé, jalouse de l’amour que Glaucos porte à Scylla, qui jette cette herbe. Scylla devint donc un monstre aboyant à 6 têtes pleines de dents et à 12 pattes. Placé au milieu de la mer, près de Charybde, tous deux étaient devenus la terreur des marins : Charybde avalait d’énormes quantités d’eau de mer et les recrachait, trois fois par jour, provoquant des tourbillons meurtriers, et Scylla dévorait les marins qui passaient à sa portée, 6 à chaque fois, par chacune de ses 6 têtes. Les marins qui avaient la chance de passer Charybde, le plus souvent périssaient par Scylla.

Ulysse, pourtant, franchit ces deux obstacles, avec l’assistance d’Athéna, mais il perdit quand même 6 de ses compagons, car il choisit, sur les conseils de Circé, de s’approcher des gueules de Scylla pour éviter les tourbillons de Charybdes.

Ainsi, dit-on encore aujourd’hui "tomber de Charybde en Scylla" lorsqu’on passe d’une situation difficile à une difficulé plus lourde encore.

Homère place la demeure de Phorcys sur l’île d’Ithaque, dans le port qui porte son nom, le port de Phorcys, où l’équipage du bateau envoyé par le roi Alcinoos dépose enfin, après un périple de 9 années, le malheureux Ulysse.

Le dernier enfant de Gaïa, Typhon, le plus terrible

(Depuis la rédaction de cette page, une autre page du site Kulturica, consacrée entièrement à Typhon, a été réalisée.)

Mais le plus terrible de tous les enfants de Gaïa fut le géant Typhon.

Après la défaite des Titans, ses enfants, et des 24 géants qu’elle avait conçus du sang d’Ouranos, Gaïa s’unit au Tartare et fit naître Typhon, un être qui devait vaincre Zeus et ses alliés et donner à nouveau le pouvoir aux Titans. "Lorsque Jupiter eut chassé du ciel les Titans, la vaste Terre, s’unissant au Tartare, grâce à Vénus à la parure d’or, engendra Typhoë, le dernier de ses enfants" (Hésiode, Théogonie).

De tous les êtres que la terre avait porté, c’était le plus gigantesque : sa tête heurtait les étoiles, et ses bras pouvaient atteindre 100 lieues dans toutes les directions. Il avait 100 mains, qui étaient toutes des têtes de serpent, ses yeux étincelaient de feu et sa voix pouvait imiter toutes sortes de sons. Sa tête était celle d’un âne et le bas de son corps, celui d’un énorme serpent. Il avait des ailes qui assombrissait l’éclat du soleil et il crachait d’énormes rochers enflammés. Voici comment le décrit Hésiode :

"Les vigoureuses mains de ce dieu puissant travaillaient sans relâche et ses pieds étaient infatigables ; sur ses épaules se dressaient les cent têtes d’un horrible dragon, et chacune dardait une langue noire ; des yeux qui armaient ces monstrueuses têtes, jaillissait une flamme étincelante à travers leurs sourcils ; toutes, hideuses à voir, proféraient mille sons inexplicables et quelquefois si aigus que les dieux même pouvaient les entendre, tantôt la mugissante voix d’un taureau sauvage et indompté, tantôt le rugissement d’un lion au coeur farouche, souvent, ô prodige ! les aboiements d’un chien ou des clameurs perçantes dont retentissaient les hautes montagnes."

Lorsqu’il apparut au pied de l’Olympe, les dieux prirent peur et s’enfuirent en Egypte où ils prirent des formes animales. Mais Athéna se moqua d’eux, et Zeus, seul, revint et combattit le monstre de sa foudre, pendant que celui-ci lançait au dieu des roches de la taille de montagnes. Mais la foudre de Zeus fut la plus forte : elle intercepta les montagnes et les fit retomber sur le géant qui fut emprisonné sous l’Etna.

De Typhon naquirent les vents, à l’exception de Notus, Borée et Zéphyr, car ces trois vents sont utiles aux hommes. Tandis que les vents issus de Typhon étaient de ceux qui "agitent la mer, se précipitent sur ses sombres vagues et causent des maux nombreux aux mortels en excitant de violents orages. Tantôt, souffllant de tous les côtés, ils dispersent les navires et font périr les matelots : alors il ne reste plus d’espoir de salut aux infortunés qui les rencontrent sur la mer ; tantôt, déchaînés sur l’immensité de la terre fleurie, ils détruisent les brillants travaux des hommes nés de son sein en les couvrant d’une poussière épaisse et d’une paille aride." (Hésiode, Théogonie)

Avec Echidna, la Vipère, il engendra :

– Orthros, le chien de Géryon, que tua Héraclès lorsque celui-ci enleva le troupeau de son maître.
– Cerbère, le chien à trois têtes d’Hadès et gardien des enfers ; sa capture fut l’objet d’un des travaux d’Héraclès.
– l’Hydre de Lerne, qu’Héra éleva et qu’Héraclès tua au cours de l’un des ses travaux.
– la Chimère à trois têtes, dont l’avant du corps était celui d’un lion, l’arrière d’un serpent ou d’un dragon, et d’une chèvre entre deux. Elle fut tuée par Bellerophon et son cheval ailé, Pégase.

Echidna eut également, d’Orthos, son propre enfant :
– la pernicieuse Phix, "perdition des cadméens et domptée par Orthros", selon Hésiode. C’est l’autre nom du monstre femelle ailé, le Sphinx, qu’Héra envoya en punition pour le crime de Laïos pour harceler les Thébains. Oedipe réussit à répondre à son énigme et, de rage, le Sphinx se jeta du haut des rochers et s’y fracassa.
– le lion de Némée, que la déesse Héra éleva. Ce lion décimait les hommes et fut dompté par Héraclès.

Ainsi, qu’ils fussent mortels ou immortels, les monstres issus de Gaïa, de Pontos et du Tartare furent vaincus par les héros alliés des Olympiens. Cette Gaïa, la Terre, était effrayante, comme en témoignent les êtres monstrueux qu’elle engendra. Le rôle bienfaisant de la Terre-Mère nourricière était tenu, dans la Mythologie grecque, par Déméter, soeur de Zeus.